Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/670

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et sa baleine garnie d’argent à la main, se tenait gravement placé en face du Suisse à l’entrée du chœur.

Bazin sentit qu’on le tirait par sa manche. Il abaissa vers la terre ses yeux béatement levés vers le ciel, et reconnut Friquet.

— Eh bien, drôle, qu’y a-t-il, que vous osez me déranger dans l’exercice de mes fonctions ? demanda le bedeau.

— Il y a, monsieur Bazin, dit Friquet, que M. Maillard, vous savez bien, le donneur d’eau bénite de Saint-Eustache…

— Oui, après ?…

— Eh bien ! il a reçu dans la bagarre un coup d’épée sur la tête ; c’est ce grand géant qui est là, vous voyez, brodé sur toutes les coutures, qui le lui a donné.

— Oui, et en ce cas, dit Bazin, il doit être bien malade.

— Si malade qu’il se meurt, et qu’il voudrait avant de mourir, se confesser à M. le coadjuteur, qui a pouvoir, à ce qu’on dit, de remettre les gros péchés.

— Et qui t’a dit cela ?

— M. Maillard lui-même.

— Tu l’as donc vu ?

— Certainement, j’étais là quand il est tombé.

— Et que faisais-tu là ?

— Tiens ! je criais : À bas Mazarin ! à mort le cardinal ! à la potence l’Italien ! N’est-ce pas cela que vous m’aviez dit de crier ?

— Veux-tu te taire, petit drôle ! dit Bazin en regardant avec inquiétude autour de lui.

— De sorte qu’il m’a dit, ce pauvre M. Maillard : « Va chercher M. le coadjuteur, Friquet, et si tu me l’amènes, je te fais mon héritier. » Dites donc, père Bazin : l’héritier de M. Maillard, le donneur d’eau bénite à Saint-Eustache ! hein ! je n’ai plus qu’à me croiser les bras ! C’est égal, je voudrais toujours bien lui rendre ce service-là, qu’en dites-vous ?

— Je vais prévenir M. le coadjuteur, dit Bazin.

En effet, il s’approcha respectueusement et lentement du prélat, lui dit à l’oreille quelques mots, auxquels celui-ci répondit par un signe affirmatif, et revenant du même pas qu’il était allé :

— Va dire au moribond qu’il prenne patience, monseigneur sera chez lui dans une heure.

— Bon ! dit Friquet, voilà ma fortune faite.

— À propos, dit Bazin, où s’est-il fait porter ?

— À la tour Saint-Jacques-la-Boucherie.

Et, enchanté du succès de son ambassade, Friquet, sans quitter son costume d’enfant de chœur, qui d’ailleurs lui donnait une plus grande facilité de parcours, sortit de la basilique et prit, avec toute la rapidité dont il était capable, la route de la tour Saint-Jacques-la-Boucherie.

En effet, aussitôt le Te Deum achevé, le coadjuteur, comme il l’avait promis, et sans même quitter ses habits sacerdotaux, s’achemina à son tour vers la vieille tour qu’il connaissait si bien. Il arrivait à temps. Quoique plus bas de moment en moment, le blessé n’était pas encore mort.

On lui ouvrit la porte de la pièce où agonisait le mendiant.

Un instant après, Friquet sortit en tenant à la main un gros sac de cuir qu’il ouvrit aussitôt qu’il fut hors de la chambre, et qu’à son grand étonnement il trouva plein d’or.

Le mendiant lui avait tenu parole et l’avait fait son héritier.

— Ah ! mère Nanette, s’écria Friquet suffoqué, ah ! mère Nanette !

Il n’en put dire davantage ; mais la force qui lui manquait pour parler lui resta pour agir. Il prit vers la rue une course désespérée, et, comme le Grec de Marathon tomba sur la place d’Athènes, son laurier à la main, Friquet arriva sur