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Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/118

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Armand.

Marguerite, tu es folle ! je t’aime ! Cela ne veut pas dire que tu es jolie et que tu me plairas trois ou quatre mois. Tu es toute mon espérance, toute ma pensée, toute ma vie ; je t’aime, enfin ! que puis-je te dire de plus ?

Marguerite.

Alors, tu as raison, il vaut mieux cesser de nous voir dès à présent !

Armand.

Naturellement, parce que tu ne m’aimes pas, toi !

Marguerite.

Parce que… Tu ne sais pas ce que tu dis !

Armand.

Pourquoi alors ?

Marguerite.

Pourquoi ? tu veux le savoir ? Parce qu’il y a des moments où ce rêve commencé, je le fais jusqu’au bout ; parce qu’il y a des jours où je suis lasse de la vie que je mène et que j’en entrevois une autre ; parce qu’au milieu de notre existence turbulente notre tête, notre orgueil, nos sens vivent, mais que notre cœur se gonfle, ne trouvant pas à s’épancher, et nous étouffe. Nous paraissons heureuses, et l’on nous envie. En effet, nous avons des amants qui se ruinent, non pas pour nous, comme ils le disent, mais pour leur vanité ; nous sommes les premières dans leur amour-propre, les dernières dans leur estime. Nous avons des amis, des amis comme Prudence, dont l’amitié va jusqu’à la servitude, jamais jusqu’au désintéressement. Peu leur importe ce que nous faisons, pourvu qu’on les voie dans nos loges, ou qu’elles se carrent dans nos voitures. Ainsi, tout autour de nous, ruine, honte et mensonge. Je rêvais donc, par moments, sans oser le dire à personne, de rencontrer un homme assez élevé pour ne me demander compte de rien, et