Page:Dunant - Un souvenir de Solférino, 1862.djvu/40

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rades à qui ils semblent demander du secours ; on les achève avec une balle. L’un de ces nobles coursiers, magnifiquement harnaché, est venu se rendre au milieu d’un détachement français ; le porte-manteau intact est demeuré fixé à la selle, il contient des lettres et des objets qui font reconnaître qu’il a dû appartenir au valeureux prince d’Isembourg : on cherche parmi les morts, et l’on découvre le prince autrichien blessé et encore évanoui par la perte de son sang ; mais les soins les plus empressés qui lui sont prodigués par les chirurgiens français, lui permettront plus tard de retourner dans sa famille, laquelle, privée de ses nouvelles et l’ayant considéré comme mort, en avait pris le deuil, qu’elle portait depuis plusieurs semaines.

Parmi les morts, quelques soldats ont une figure calme, ce sont ceux qui, soudainement frappés, ont été tués sur le coup ; mais un grand nombre sont restés contournés par les tortures de l’agonie, les membres raidis, le corps couvert de taches livides, les mains creusant le sol, les yeux démesurément ouverts, la moustache hérissée, un rire sinistre et convulsif laissant voir leurs dents serrées.

On a passé trois jours et trois nuits à ensevelir les cadavres restés sur le champ de bataille[1] ; mais sur un espace aussi étendu, bien des hommes qui se trouvaient

  1. On a même retrouvé, ici et là sur le champ de bataille, pendant les trois semaines qui ont suivi le 24 juin 1859, des soldats morts des deux armées. — On a prétendu, bien à tort, que la journée du 25 avait suffi pour relever et recueillir tous les blessés français ou autrichiens, ce qui est complétement inexact.