Page:Dunant - Un souvenir de Solférino, 1862.djvu/62

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avec déchirement ; l’œil qui lui reste et qui était d’un bleu magnifique, exprimait sa vive et profonde gratitude, il pressait sur ses lèvres les mains des femmes charitables de Castiglione. Un autre prisonnier, en proie à la fièvre, attire les regards, il n’a pas vingt ans et ses cheveux sont tout blancs ; c’est qu’ils ont blanchi le jour de la bataille, à ce qu’affirment ses camarades et lui-même[1].

Que de jeunes gens de dix-huit à vingt ans, venus tristement jusque là du fond de la Germanie, ou des provinces orientales du vaste empire d’Autriche, et quelques-uns peut-être forcément, rudement, auront à endurer, outre des douleurs corporelles avec le chagrin de la captivité, la malveillance provenant de la haine vouée par les Milanais à leur race, à leurs chefs et à leur Souverain, et ne rencontreront plus guère de sympathie avant leur arrivée sur la terre de France ! Pauvres mères, en Allemagne, en Autriche, en Hongrie, en Bohême, comment ne pas songer à vos angoisses lorsque vous apprendrez que vos fils blessés sont prisonniers dans ce pays ennemi ! Mais les femmes de Castiglione, voyant que je ne fais aucune distinction de nationalité, suivent mon exemple en témoignant la même bienveillance à tous ces hommes d’origines si diverses, et qui leur sont tous également étrangers. « Tutti fratelli, » répétaient-elles avec émotion. Honneur

  1. Ce fait que j’ai cité dans une séance de ta Société d’Ethnographie de Paris, a été mentionné dans la Revue orientale et américaine (janvier 1860) par M. R. Cortambert, dans son remarquable article « De la chevelure chez les différents peuples. »