Page:Duplessis - Le Batteur d'estrade, 2, 1856.djvu/17

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L’accueil du jeune homme manqua d’élan, il ne lui offrit pas la main.

— Dois-je m’inscrire oui ou non pour des actions, cher Joaquin ! demanda M. Sharp.

— Je vous répéterai ce que vous disiez tout à l’heure : « Qui ne risque rien ne gagne rien. »

— C’est juste ! je présume que je souscrirai pour vingt-cinq… on ne sait ce qui peut arriver. Ah ! si c’était vous, Joaquin, qui fussiez à la tête d’une pareille expédition, je suppose que j’y engagerais volontiers la moitié de ma fortune !…

— Vous auriez tort.

— Oh ! que non ! il n’est pas un homme qui en sache autant que vous sur la Sonora ; on prétend que vous y avez amassé des millions !… Mais racontez-moi donc où et comment vous avez rencontré monsieur le marquis : M. de Hallay était-il dans le bon chemin ? se dirigeait-il vers ces mystérieuses retraites où l’or, sans méfiance de l’homme, dort tranquillement au soleil sur son lit de sable ?

— Quels contes à dormir debout me récitez-vous là, Sharp ? Apprenez une bonne fois pour toutes, que l’or, cette source de toutes les bassesses et de la plupart des crimes, fuit la lumière du soleil, et se cache dans les entrailles de la terre comme s’il avait la conscience de sa fatale mission, et qu’elle lui fit honte et horreur ! C’est dans la forêt Santa-Clara, c’est-à-dire à cent et quelques lieues de Guaymas, que monsieur le marquis et moi nous avons fait connaissance.

— Mais je présume que depuis lors vous n’êtes pas restés ensemble, car M. de Hallay ne m’a pas parlé de vous à son retour à San-Francisco.

— Vous présumez juste, Sharp. Après avoir remis monsieur le marquis dans son chemin, je le laissai dans un rancho voisin de Guaymas, au rancho de la Ventana. Depuis lors, — il y a de cela près de deux mois ; — ce soir est la première fois que nous nous soyons retrouvés en présence l’un de l’autre.

Une exclamation d’étonnement, poussée par le comte d’Ambron, attira en ce moment l’attention de M. de Hallay, de Sharp et du Batteur d’Estrade. Le comte, quoiqu’il essayât de sourire, car il voyait tous les yeux fixés sur lui, était d’une pâleur de mort ; le gonflement de ses narines, le tremblement de ses lèvres, l’expression tout à la fois vague et menaçante de son regard annonçaient une émotion extraordinaire.

Il sembla d’abord vouloir prononcer une phrase ; mais