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Page:Duplessis - Les Étapes d'un volontaire, 3, 1866.djvu/23

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loir auprès du neveu candide et naïf qui l’a offert les cent louis.

— Je ne me dissimule pas, cousin, répondis-je, en affectant de rire, que je ne suis encore qu’un faible diplomate en comparaison de toi. La bonne volonté ne me manque certes pas ; mais je pèche par la pratique. Toutefois, permets-moi d’essayer de répondre aux objections sur lesquelles tu fondes ton refus.

— Inutile, cher ami, me répondit Curtius. Je ne reviens jamais sur une résolution prise.

— Ainsi, dis-je en faisant un violent effort sur moi-même, pour dissimuler mon douloureux désappointement ; ainsi, je dois renoncer à l’espoir de voir ma bourse perdre cette légèreté qui me désespère, et me retire mon aplomb !

— Parbleu ! c’est justement là, cousin, où est toute la question. Tu m’apportes une affaire de cent louis, mais tu ne me proposes pas cent louis !… Après tout, quelles sont tes prétentions ?

— Moi, cousin, répondis-je, j’ai absolument besoin de vingt-cinq louis !

— C’est-à-dire que tu ne m’en laisses que soixante-quinze… Ce n’est pas assez. Si le neveu candide et ingénu, dont il a déjà été parlé entre nous, voulait porter la somme à cent cinquante louis et toi te contenter de quatre cents livres, alors, je ne dis pas…

— Ah ! Jouveau, m’écriai-je d’un ton de tendre reproche, peux-tu bien me marchander pour une semblable bagatelle, et m’exposer à perdre cette bonne aubaine, que le hasard m’envoie si à propos ! Tu ne m’aimes donc pas !

— Vraiment tu m’attendris, cousin ! Eh bien, oui, je consens en faveur de l’amitié qui nous unit, à te laisser cinq cents livres… mais à une condition, c’est que le neveu me comptera, pour moi, en or, cent vingt-cinq louis. C’est à prendre ou à laisser.

— J’ai bien peur que l’on me refuse, répondis-je en jouant la mauvaise humeur ; enfin je vais voir !…

En parlant ainsi je me levai de table ; mais, au moment où j’allais sortir, Jouveau me rappela.

— Voilà une excellente idée qui me vient, cousin, me dit-il ; veux-tu, pour forcer la main au neveu, que je le fasse arrêter ! J’ai justement sur moi plusieurs mandats signés en blanc ?

— Faire arrêter Maurice ! m’écriai-je, prêt à laisser échapper mon indignation.

— Dame ! me répondit froidement Curtius-Jouveau, — c’est une galanterie que je veux bien te faire. Tu conçois que, pourvu que je touche mes cent vingt-cinq louis, je n’ai rien de plus à réclamer !

— C’est que, vois-tu, cousin, ce jeune homme m’a l’air d’être têtu comme son oncle. Une fois arrêté, il ne payerait plus… Laisse-moi mener cette affaire à ma guise…

— Je t’accorde un quart d’heure, pas plus.

— Soit, un quart d’heure me suffira, répondis-je en m’en allant.


VI

Maurice, que je trouvai à l’auberge, où il m’attendait, ne put retenir une exclamation de désespoir en apprenant les exigences de mon cousin.

— Mon oncle et moi, en réunissant nos bourses, nous ne ne disposer de plus de cent louis, me dit-il, Si ce Curtius nous accordait vingt-quatre heures !

— Hélas ! Curtius doit repartir tout à l’heure !

— Oh ! s’écria Maurice, toucher de si près à la réussite, tenir l’existence de mon oncle entre les mains et le laisser mourir !… Non, cela n’est pas possible ! Mon ami, mon frère, conduisez-moi, je vous eu supplie, près de votre cousin.

— Je le veux bien, mais je doute que vous obteniez de lui la moindre concession, répondis-je au jeune homme en passant mon bras sous le sien : n’importe, allons !

Nous trouvâmes, Maurice et moi, en arrivant, l’illustre Curtius occupé à écrire. En nous voyant entrer il se contenta de nous adresser un léger signe de tête, et continua son travail sans se déranger et sans s’inquiéter davantage de notre présence.

Enfin, repoussant après cinq minutes son fauteuil de la table devant laquelle il était assis :

— Qu’y a-t-il pour votre service, citoyens ? nous demanda-t-il d’un air glacial.

— Citoyen, lui répondis-je en prenant un ton officiel, ce jeune homme que je te présente est le neveu de l’ex-lieutenant criminel de N*** actuellement arrêté…

— Comme Le seront bientôt tous les ennemis de la République, dit Jouveau en achevant ma phrase à sa guise. Eh bien ! en quoi cette arrestation me concerne-t-elle ?

— En ce que tu m’as fait espérer, citoyen, continuai-je, la mise en liberté de ce lieutenant criminel si, après avoir examiné les charges qui pèsent sur lui, tu le trouves innocent du crime dont il est accusé.

— J’ai examiné le dossier de ce prévenu, dit lentement Curtius, et je sais à quoi m’en tenir sur son compte.

— Alors mon oncle est sauvé ! s’écria Maurice avec élan.

— Vous croyez ? répondit Curtius d’un air narquois. Jeune homme, vous parlez fort légèrement de choses bien graves.

Craignant qu’une imprudente exclamation de Maurice ne vint faire échouer la négociation entamée, et jugeant qu’il n’y avait pas une minute à perdre, je me hâtai de prendre la parole.

— Curtius, dis-je à mon cousin, le citoyen Maurice s’engage sur l’honneur à ne jamais révéler ou laisser transpirer un mot de la conversation que nous avons en ce moment, quel qu’en soie résultat. Ainsi, parlons peu, mais parlons bien.

Jouveau, sans me répondre, fixa Maurice d’un regard scrutateur, puis, tout à coup, et brusquement :

— Quel âge avez-vous, jeune homme ? lui demanda-t-il.

— Vingt-deux ans, citoyen.

— À cet âge, lorsqu’on regarde bien en face, comme vous le faites, ceux à qui l’on parle, et que l’on n’est pas entré dans la carrière politique, on sait encore respecter sa parole, reprit Jouveau. — Je puis donc compter sur la vôtre, si vous voulez l’engager.

— Sur mon honneur, dit alors Maurice avec dignité, je ne révélerai ou ne laisserai jamais transpirer un mot de cette conversation, dût même cette révélation ou ce mot me sauver la vie.

— C’est bon, reprit Curtius en changeant de ton. Eh bien, alors, jeune homme, comptez-moi, sur-le-champ, vingt-cinq louis en or, donnez cinq cents livres à ce brave adjudant, qui nous a aidés à faire connaissance, et, dans une heure, votre oncle sera libre.

— Citoyen, il m’est impossible de satisfaire à l’instant même aux conditions que vous m’imposez ; mais, si vous voulez bien m’accorder un répit de vingt-quatre heures, je vous jure que je vous remettrai, avant que ce temps soit écoulé, la somme que vous demandez !

— Vraiment, je ne devrais pas me laisser aller avec une telle facilité aux élans de mon cœur, dit Jouveau ; mais votre physionomie me revient, et je me sens porté malgré moi à vous accorder votre demande. Ainsi, voilà qui est convenu : d’ici à vingt-quatre heures vous m’apporterez vous-même, à l’endroit que je vous désignerai, mes vingt-cinq louis, et vous remettrez à notre brave adjudant ses cinq cents livres. À présent un dernier mot : vous faites-vous fort d’obtenir des voisins de votre oncle un certificat collectif qui témoignera de son patriotisme ? Cette formalité m’est indispensable, car elle met ma responsabilité à couvert.

— Tous ceux qui connaissent mon oncle l’aiment, l’estiment et sont prêts à signer que jamais homme n’a porté plus loin que lui le respect de la loi. Je vous réponds de ce certificat. Mais quand verrai-je mon oncle ?

— Avant une heure. Tenez, voici un ordre d’élargissement signé en blanc par mon représentant : mettez-y le nom de votre oncle, et portez-le à la prison.

Maurice se saisit, avec un empressement que le lecteur