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PIERRE ET AMÉLIE.

si doux de pleurer quand je fais revivre dans ma mémoire les souvenirs de nos illustres aïeux. Les glaces d’une longue vieillesse circulent dans mes veines, et refroidissent la moëlle de mes os ; mais mon cœur s’enflamme et bondit encore dans mon sein pour ces dignes enfants de la patrie. Loin des vains fracas de la foule et des plaisirs brillants des villes, je vis plus heureux dans mon humble chaumière, avec le souvenir de mes pères, que ces efféminés, ces misérables dont le maigre patriotisme décèle la bassesse de leur âme, et la corruption de leur cœur. Ici je jouis de tous les vrais plaisirs que procure la paisible vie des champs, de ces plaisirs qu’on ne peut moins apprécier que sentir, je vois se lever l’aurore et naître les ombres de la nuit, sans que le bruit des hommes ne m’ait troublé ; je vais où je veux aller, et reviens quand il me plait de revenir. L’or peut ne m’être qu’à charge puisque la nature, la belle et bienfaisante nature s’offre de nourrir et couvrir mon corps, ai-je soif, je me baisse sur l’humide fougère, sous les aunes verts ; j’écarte les joncs limoneux, je m’approche de la roche mousseuse, partout s’élèvent sous mes lèvres les légers bouillons d’une source ou d’un ruisseau. Il est midi : j’ai faim, mon dîner pend aux arbres ; puis dans les carrés de mon jardin, et sur les tablettes de ma laiterie, n’en ai-je pas assez pour mon souper. Les fatigues ont abattu mon corps, j’ai chassé tout le jour par des sentiers abrupts, des arbrisseaux épineux ont embarrassé ma route ; le sommeil vient fermer mes yeux ; aucun songe, aucun fantôme ne troublent mon repos. La pluie tombe sur mon toit, les hirondelles crient sur ma fenêtre, je me réveille, il est grand