Page:Duranty - La Cause du beau Guillaume.djvu/213

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disant : — Ai-je le temps d’y répondre ? D’ailleurs, s’en occuper, c’était une sorte de trahison envers Lévise !

Le retour du braconnier avait cependant dégrisé Louis, c’est-à-dire avait fait disparaître l’éclat des journées d’exaltation amoureuse, en rendant au jeune homme l’inquiétude et le sang-froid. Louis n’était pas fâché d’un autre côté. Il gardait une jalousie et un sentiment de rivalité très-vifs contre l’homme qu’avait dû épouser Lévise. Il avait beau se dire dédaigneusement : — Que m’importe ce paysan ! il avait des impatiences de le voir, de le connaître. La pensée d’une guerre sourde ou déclarée avec ce braconnier dangereux le séduisait et lui faisait désirer d’essayer son énergie. C’était une nouveauté curieuse, tentante, indépendamment de l’animosité qu’il ressentait contre cet être inconnu. Des idées singulières, hardies, lui passaient par la tête. Il voulait aller trouver Guillaume et lui demander des explications. Mentalement il le traitait avec hauteur, il se battait avec lui et triomphait, puis rapportait sa victoire aux pieds de Lévise, comme une dépouille opime. D’autres fois il était anxieux, se demandait si les braconniers ne tendraient pas des embûches à lui et à Lévise. Il avait peur pour celle-ci, il la voyait seule victime, broyée entre la colère des paysans et la situation sans ressources où lui-même l’avait fait tomber. Il se demandait alors s’il était bien taillé en défenseur vis-à-vis des deux paysans herculéens. Comme il avait mauvaise opinion de ceux-ci, il pensait aussi qu’ils ne bougeraient pas, ne réclameraient rien. Il s’imaginait encore qu’ils viendraient peut-être acheter la paix à prix d’argent.

Il se décida donc à les laisser venir, s’ils devaient venir, et à se tenir constamment sur ses gardes. D’un autre côté, il s’ingénia à empêcher le plus possible