Page:Duranty - La Cause du beau Guillaume.djvu/322

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l’esprit plus juste que lui et qu’il devait se laisser conduire par son compagnon !

Guillaume reprit : Maintenant, nous allons rester tranquillement ici demain. Si par hasard ils partaient dans le jour, il faudra qu’ils passent devant nous.

Les deux braconniers dormirent. Ces idées, toujours les mêmes, tournant cesse dans leur crâne, sans que le corps bougeât, les engourdirent à la fin.

Le lendemain, Guillaume ne parla pas. Sa salive était supprimée, ses mains étaient glacées, ses fibres raidies. Il ne sentait pas qu’il vécût à Mangues, qu’il fût le même homme. Ses yeux, son cerveau, tous ses sens étaient remplis toujours par l’image de cette fenêtre et des deux jeunes gens étendus à terre dans le sang ! image qui se reformait sans cesse et chaque fois lui donnait une joie immense. L’hallucination était si forte que par moments il mettait son fusil en joue.

Guillaume ne ressentait pas d’impatience, le temps n’avait pas de durée pour lui. Il semblait que des rouages régulièrement montés et chargés de se détendre, et de lui donner l’impulsion à l’heure fixée eussent remplacé en lui tous les organes de la vie. Il était absolument absorbé par le spectacle intérieur qui lui donnait les mêmes sensations qu’une action réelle. Il était écrit dans sa tête que la chose « devait » se faire, et sa pensée l’accomplissait et la recommençait d’avance. Il ne raisonnait, ni ne jugeait, ni ne songeait en dehors de cet état singulier. Il savait qu’à un moment qui serait indiqué par l’obscurité complète, il aurait à partir. Mais déjà il était mille fois satisfait par son imagination qui lui montrait la vengeance réalisée. Et ce moment arriva sans que Guillaume eût senti s’il était arrivé promptement ou lentement.

Volusien fut troublé par cette concentration intérieure