Page:Duranty - La Cause du beau Guillaume.djvu/49

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n’avait point de défense. Ces mots étranges lui semblèrent recéler quelque sens redoutable et mystérieux. Ses yeux pleins de défiance montraient qu’elle sentait que le jeune homme se moquait d’elle dans une langue étrangère. Louis vint alors à son secours, en renvoyant Euronique et en remontant chez lui.

Une chose assez curieuse était que Louis ne voulait toujours pas s’avouer qu’il fût amoureux. Pour rien au monde, il n’eût prononcé les mots amour ou passion devant Lévise. Il aurait voulu pouvoir se persuader qu’il n’éprouvait pour elle qu’un intérêt, vif peut-être, mais uniquement bienveillant.

Il avait peur de lui-même. Il craignait d’entraîner Lévise à devenir sa maîtresse, et, par affection même, il aurait voulu lui épargner ce qu’il considérait comme un malheur pour elle.

Il craignait aussi, s’il était jamais engrené dans une passion, de s’y laisser aller avec tant de violence qu’il compromettrait tout, famille, fortune, avenir. Et il sentait qu’il le ferait, aux pensées qu’il lui venait dès qu’il s’abandonnait à rêver qu’il « aimerait » Lévise. Alors tous ses projets devenaient insensés, extrêmes. Il se voyait entièrement consacré à elle, enseveli auprès d’elle dans quelque coin, renonçant à sa famille, au travail ! Aussi, bien qu’il ne pût résister aux attractions qu’exerçait la jeune fille sur lui, il s’obstinait à ne pas vouloir les « voir », et se répétait avec acharnement du matin au soir : Non, je n’aime pas, je n’aimerai pas ! Ce que cette fille m’inspire, c’est un intérêt bien naturel, et voilà tout !

Grâce à cette duperie, Louis se laissait aller de plus en plus à ses pensées de tendresse. Il lui eût été impossible de s’arrêter sur ce chemin, doux comme du velours. En se disant qu’il n’aimait ni n’aimerait Lévise, en appelant