Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/109

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rendre cette justice, que sa conscience ne lui demanda nullement compte des bons ou des mauvais exemples donnés dans l’intérieur de la famille. Sa première colère contre sa fille venait surtout de ce qu’on pouvait, ou de ce qu’on pourrait savoir, à Villevieille, cette fâcheuse aventure, selon le plus ou moins de discrétion du jeune homme inconnu, et que peut-être les Gérard étaient déjà la fable de la ville, sans s’en douter ; par conséquent le silence, un étouffement adroit de ces intrigues dangereuses pour les projets d’avenir, devenait une nécessité absolue. Il fallait reconnaître les développements de cette liaison, avec le mystère qu’on emploie aux travaux de contre-mines, dans les siéges. Madame Gérard en voulait à Henriette ; il lui semblait voir une épigramme à ses propres amours ainsi qu’à ses prétentions de mère habile à élever et à surveiller, renversées de fond en comble. Comme elle connaissait de vue les deux ou trois jeunes gens de Villevieille qui avaient quelque chose, elle se disait :

« Ce doit être un petit vaurien sans le sou. »

À force de réfléchir sur tous les indices qui auraient pu être remarqués et auxquels on n’avait pas fait attention, madame Gérard se rappela que le jardinier s’était plaint de dégradations au mur du parc.

Son plan arrêté, il lui tardait d’en faire part à quelqu’un, et de remuer un peu son petit monde par des discours, des ordres, des gémissements, des opérations de campagne. Elle dit à Aristide dans le jour : « Quand ta sœur sort, tâche de savoir, sans être remarqué, où elle va et ce qu’elle fait. » Ensuite l’abbé étant venu, il eut la primeur de la nouvelle.

« Ah ! monsieur le curé, vous voyez une femme bien affligée : c’est Dieu qui me frappe ! »

Le curé parut tout de suite aussi affligé que madame Gérard.

« Oui, reprit-elle, vous vous intéressez assez à nous pour je vous confie ce qui arrive ; on a trouvé le portrait d’un jeune homme dans la chambre de ma fille. Pourvu que la malheureuse enfant ne nous ait pas précipités dans un abîme !