Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/197

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Pierre s’avança à la fenêtre et dit : « Ma fille attrape très bien et très vite la ressemblance, elle pourrait faire un croquis de M. Mathéus, ce ne serait pas long. »

Henriette souriait en dedans en songeant à la jolie caricature qu’elle eût pu dessiner.

Mais Mathéus voulait se montrer poli.

« C’est à Madame, dit-il en montrant la grosse femme, qu’il faut faire ce plaisir. »

Madame Baudouin s’en défendit :

« Je ne veux pas tracasser ma charmante jeune amie ; ce sera pour une autre fois, si elle veut bien. »

Corbie, Aristide et madame Vieuxnoir firent de rudes critiques dans leur petit coin sur les peintures d’Henriette, et ce fut pour l’oncle et le neveu le point de départ de récits nombreux sur les traits si noirs du caractère de la jeune fille.

« Si Henriette ne dessine pas, dit madame Gérard, elle pourra nous faire un peu de musique.

— Oui, dit l’abbé, mademoiselle a un talent si suave !

— Un talent d’amateur de premier ordre, reprit le président brusquement. Un talent suave, cela ne classe pas.

— Je suis fou de musique, s’écria Mathéus. Ô mademoiselle ! rendez-nous tous heureux.

— Et vous, chère madame, demanda madame Gérard, que préférez-vous ? Bellini, Rossini ou les Allemands ?

— Oh ! tout, dit madame Baudouin. La musique, c’est toujours si beau !

— Voyons, madame Vieuxnoir, rapprochez-vous donc. Que vas-tu jouer ?

— Que mademoiselle joue ses morceaux préférés, dit Mathéus, je suis sûr qu’ils nous plairont.

— Non, dit Henriette avec un peu de dédain, je jouerai Pour les autres et non pour moi. Je ne suis pas d’avis de montrer mes sympathies en musique, avant d’être sûre qu’on les partage : j’aime mieux ce qu’on me demandera. »

Depuis que Corbie détestait sa nièce, il haïssait tous ces talents, qu’il appelait des enjôlements.

« Vois-tu, dit-il à Aristide, quand tu te marieras, défie-toi de tout cela.