Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/215

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Plusieurs fois Henriette voulut protester ; mais, ayant démêlé l’irritation de sa mère et senti le vide de sentiments chez son père, brutal mais non ferme, elle se réserva pour le moment où on parlerait d’Émile et de Mathéus.

Pierre et madame Gérard restèrent un moment silencieux, étonnés qu’elle ne dît rien.

« Vous vous taisez, reprit la mère, vous reconnaissez la justesse de nos griefs, et vous êtes probablement disposée à nous faire oublier la cruelle soirée d’hier.

— Autant que je le pourrai, répondit Henriette pour les satisfaire un moment.

— Alors, si vous en prenez l’engagement, dit madame Gérard en adoucissant son ton, nous pouvons vous parler raison, paisiblement, amicalement ! »

Henriette détestait ces scènes de jugement avec un appareil de sentences, de phrases à sentiment. Elle attendait, de plus en plus émue, le commencement du véritable combat, effrayée d’avance de l’effet que produiraient ses déclarations résolues.

« Nous comptons d’abord, continua madame Gérard, que tu voudras bien faire des excuses à M. Mathéus.

— Ah ! dit froidement la jeune fille.

— C’est indispensable, ajouta madame Gérard d’une voix qui devenait plus dure. M. Mathéus est un homme d’une grande considération, très riche, riche de 80,000 livres de rentes. »

Elle s’arrêta et regarda sa fille. Henriette était un peu pâle, comme un soldat qui arrive peu à peu devant l’ennemi.

Pierre fit un acte d’esprit très remarquable en disant :

« C’est la plus grande fortune de l’arrondissement ! Il a un château et des terres admirables qui seraient très intéressantes et très utiles pour moi. J’y essayerais de belles cultures ! »

C’était le premier appel à la générosité d’Henriette. Madame Gérard fut contente de son mari. La jeune fille fut singulièrement frappée de ce côté de la question.

Madame Gérard ajouta :

« M. Mathéus est l’homme le plus généreux. Son amitié nous