Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/220

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je leur expliquerai pourquoi on m’a enfermée, et, dussé-je attendre jusqu’à ma majorité, il faudra bien qu’on me laisse aller ! Et si, au moment où je fais tous ces plans, Émile ne pensait plus à moi ! s’il était avec une autre jeune fille !…

« Ah ! ajouta-t-elle, si je crois cela de lui, il peut en croire autant de moi. Je ne peux pas savoir si c’est la vérité qu’on me dit ici ; si j’allais, pour une chimère, comme ma mère appelle cela, leur faire manquer tant de beaux projets et d’espérances sur la Charmeraye, après avoir causé du scandale, après avoir compromis la réputation de la famille ! Oui, mais, s’ils m’ont trompée sur Émile, je ne leur aurai jamais fait assez de maux. »

Henriette, par cela même qu’elle avait l’esprit plus large que les autres, avait pour eux plus d’indulgence qu’ils n’en témoignaient pour elle. Les esprits étroits tâtonnent bien moins, dans leurs appréciations des caractères, que des esprits larges et pénétrants. Ne creusant pas, ils n’aperçoivent qu’une surface toujours la même. Les autres, plus fouilleurs, amènent au jour les contradictions, les mobiles variés, les ressorts, un aspect enfin très compliqué et difficile à coordonner. Ainsi, Henriette, tout en dégageant nettement dans ceux qui l’entouraient l’égoïsme, l’étroitesse, l’insensibilité, croyait ensuite à de la sincérité, de l’affection et de la prévoyance.