Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/273

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sent pas autant brisé, foulé et anéanti qu’il le parut à ces mots !

Mais il se releva et s’écria : « Vous êtes tous des misérables !

— Ma foi ! je vous vaux bien, » dit Aristide, étonné de l’insulte.

Émile hésita, puis il partit.

« Bon voyage ! cria Aristide, et n’y revenez plus, ou on vous en ôtera le goût ! » Et il ajouta : « Tiens, Perrin, si tu vveux connaître la tête d’une franche canaille, rappelle-toi celle-là ! »

Perrin n’osa pas dire qu’il avait laissé entrer Émile, et Aristide se vanta à sa mère de l’avoir chassé.

« Il est bien désagréable que nous ne puissions pas nous débarrasser de cet homme, dit madame Gérard ; je vais écrire au commissaire de police ! »

Cependant, Émile, malade, faible, la tête certainement troublée, marchait vers Villevieille en parlant tout haut :

« Ah ! elle le croit aussi ! On le lui aura fait croire ! »

Cette accusation de cupidité l’épouvantait. Il ne lui manquait plus que cela ! De la part de madame Gérard, un mois auparavant, ce n’était qu’une insinuation à laquelle il ne s’était pas beaucoup attaché. Mais la phrase était si nette, cette fois ! Il aurait dû étrangler Aristide, mais il n’avait ni force physique, ni force morale. Il valait bien mieux qu’il n’épousât pas Henriette, au fait !

Il ne savait seulement pas se conduire lui-même courageusement dans les plus simples circonstances ; que serait-ce quand il aurait la responsabilité d’un autre être ? Saurait-il faire respecter une femme ! Pourquoi s’agiter, d’ailleurs, puisque étant pur on passait pour un coquin ! Il songeait à sa mère qu’il affligeait, à sa place qu’il perdrait s’il n’avait pas plus d’énergie au travail.

Émile, rentré, mangea à peine, en silence.

« Mon Dieu ! mon enfant, que tu m’inquiètes ! » dit madame Germain presque tremblante.

Il se fâcha.

« Eh ! dit-il, je ne puis remuer ni pied ni patte sans que tu