Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/28

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C’est moi qui sais ce que sera l’avenir, et non pas toi ! »

Il ne faut jamais dire aux jeunes gens qu’ils font des enfantillages : rien ne les excite davantage. Et en vérité on ne peut guère accuser la jeunesse d’enfantillages, car elle a une force bouillante et active qui peut amener de grands désastres. Il faut, au contraire, compter sérieusement avec elle.

« Si ce que tu me dis est vrai, reprit madame Germain, c’est très fâcheux.

— Fâcheux ! s’écria Émile, étonné que ce qui le rendait heureux pût être fâcheux.

— Je t’ai dit que j’avais pris des renseignements sur les Gérard. Ce sont des gens riches qui ont vingt mille francs de rente, et qui tiennent à l’argent. Crois-tu qu’avec tes vingt ans et ta place de 800 fr. tu sois un parti pour leur fille ?

— Cela s’est vu, dit Émile.

— Oui, en rêve. Le jour où tu voudras leur en parler, tu leur paraîtras absurde ou impertinent, et ils te mettront à la porte.

— Si nous le voulons bien tous les deux, Henriette et moi dit Émile.

— Elle a donc déjà dit qu’elle n’épouserait jamais que toi ?

— Non, mais tu comprends que cela se sent. Maintenant, je ne leur demande pas leur argent, aux Gérard. S’ils consentent à attendre, je travaillerai.

— Ils attendront qu’il vienne un garçon plus riche, mon cher enfant.

— Pourquoi voudraient-ils rendre Henriette malheureuse ?

— Tu ne manques pas de confiance en toi-même, mais enfin j’admets cette adoration de mademoiselle Gérard pour tes mérites.

Émile haussa un peu les épaules : il en voulait à sa mère de toutes ses innocentes plaisanteries.

« Ils ne seront pas assez bons, dit madame Germain, pour penser au cœur de la petite. Ils ne comprennent pas cela ; ils voudront au contraire lui éviter d’être malheureuse, en l’empêchant de se marier avec un pauvre comme toi.

— Cependant, si je leur parlais ? Ils ne peuvent forcer Henriette à se marier malgré elle.