Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/29

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— Cela arrive tous les jours dans une excellente intention.

— Ainsi tu penses que moi, jeune homme, tel que je suis enfin, me présentant devant eux, je serais repoussé ? Je leur dirai que je suis intelligent, que j’ai l’avenir, ce qui est vrai.

— Tu crois toujours avoir affaire à des gens d’esprit, mon cher enfant. Le moindre lopin de terre leur conviendrait mieux que tous les discours que tu pourrais leur faire. On a horreur du mariage d’inclination.

— Il n’y a pourtant que celui-là, dit Émile.

— C’est une règle presque absolue de le rejeter. On croit qu’il tourne toujours mal, et qu’en y prêtant les mains on prépare de grands chagrins aux enfants, trompés par la fausse apparence d’un bonheur immédiat.

— Est-ce que tu penses aussi comme cela ? dit Émile.

— Quelquefois, dit la mère. Je suis pour ce qui est sage. Je ne veux pas qu’on tente l’impossible, qu’on s’y lance par un coup de tête, pour un caprice !

— C’est pour moi, cela ?

— Oui. Tu trouveras une jeune fille aussi jolie que mademoiselle Gérard, et que tu pourras aborder librement, sans rendez-vous clandestins, ce qui est nuisible à la réputation d’une jeune fille, à moins que l’on ne veuille en faire sa maîtresse.

— S’il n’y avait que ce moyen ! murmura entre ses dents Émile, qui s’irritait de voir le grand écroulement de ses beaux châteaux.

— Il paraît que tu l’aimes plus pour toi que pour elle, reprit madame Germain : la pauvre fille serait flattée de l’estime qu’on lui porte. »

Un voleur qui a manœuvré pour échapper à un cercle de gendarmes, et qui, espérant toujours se sauver, s’est vu cerner, puis acculer peu à peu, n’est pas plus désespéré qu’Émile, qui brisait les ongles de sa volonté contre des difficultés insurmontables.

« Eh bien ! s’écria-t-il, il arrivera ce qu’il pourra ; tant pis si c’est un malheur ! »

Il ouvrit la porte.