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Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/336

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lier la bourse, la Charmeraye, les nouvelles paroles, et ne parvenait pas à concilier toutes ces contradictions. Elle se les expliquait par une bouderie d’enfant qui contrarie pour se dédommager de céder. Elle craignait aussi quelque soudaine explosion d’une mine cachée.

Mathéus allait, venait, comme l’homme qui faisait le bonheur général, et à tous moments il prenait les mains d’Henriette, disant aux autres : « Écoutez-la, laissez-lui faire ce qu’elle veut. Elle a raison, elle sera délicieuse en robe blanche ! » Etc.

« Comme vous la gâtez ! » s’écriait madame Gérard.

Aristide et Corbie ricanaient dans un coin.

« Elle va la danser ! soufflait le frère, et avec de vrais violons ! »

Corbie n’élevait pas la voix, intimidé par les richesses dont allait disposer sa nièce. Madame Baudouin ne se lassait pas de vérifier la solidité des coutures ; Pierre racontait au président les développements futurs de sa charrue. Le curé commençait à faire orner l’église ; l’organiste du chef-lieu devait venir toucher les orgues. Les candélabres étaient achetés. Madame Gérard organisait des distributions de vivres et de vêtements pour les pauvres.

Le 15 arriva. La corbeille et le trousseau restaient toujours étalés ; Henriette eut presque la tentation d’y mettre le feu. Elle vint considérer, seule, toutes ces beautés.

« Ils ne se doutent guère que cela ne me servira pas », pensa-t-elle. Et, malgré son horreur, car il lui semblait voir des chemises de soufre, elle ne pouvait s’empêcher de manier une jolie robe ou un châle de bonne qualité, par-ci, par-là. Ensuite elle ne remit plus les pieds dans cette chambre.

À midi, sa mère la fit appeler. C’était la couturière qui venait lui essayer sa robe de noces. Henriette se déshabilla, mit la jupe, le corsage, se tourna et retourna devant la glace, se plaignit d’être gênée aux épaules, marcha, et demanda si elle était bien.

« Charmante ! » s’écria sa mère.

Henriette se sentait venir des méchancetés à l’esprit.