Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/65

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tre l’attendu ; on s’intéresse à tous ceux qui arrivent : « C’est lui ! » Après quatre ou cinq minutes on reconnaît que ce n’est pas lui. Il est impossible d’être plus affairé.

Émile ne savait donc trop comment s’expliquer, et il n’était pas très glorieux de lui-même ; il mit l’aventure sur le compte du bureau. Il lui en coûta de n’être pas sincère avec Henriette, et il faillit lui avouer la vérité : mais c’eût été vraiment trop grave, et elle n’aurait peut-être pas gardé une grande estime pour ce brin de paille appelé Émile.

Henriette essaya de s’habituer aux exigences du bureau, et elle ressentit aussi ce triste état de malaise, de souffrance, ces navrantes angoisses dont on est pris loin de ceux pour qui on a de l’amour ; cette crainte, sans motifs, de les perdre, de ne plus jamais les revoir dès qu’on les a quittés ; ce trouble incessant qui agite autour de vous mille choses mauvaises, de vrais fantômes.

À cette époque, les rendez-vous furent troublés par l’oncle Corbie, qui venait fumer de grosses pipes du côté du massif où se retrouvaient les deux jeunes gens.

Corbie se promenait comme une sentinelle pendant une heure. Émile n’osait pénétrer dans le parc, Henriette ne se hasardait point à paraître, et tous deux demeuraient dans une pénible anxiété, Émile se croyant surveillé et la jeune fille craignant qu’il ne se décourageât.

L’échec de la timidité d’Émile à la porte du parc mit en déroute les bonnes idées de mariage et donna la victoire aux projets dangereux. Émile se décida à expliquer sa nouvelle manière de voir à Henriette dès qu’il put rencontrer la jeune fille.

« J’ai beaucoup réfléchi, et je crois qu’il serait inutile de parler dès à présent.

— Pourquoi ? dit Henriette étonnée.

— Il vaut mieux remettre l’explication à plus tard. Je voudrais que vos parents pussent me connaître un peu d’abord. En attendant encore, il peut se présenter des circonstances qui nous mettent en rapport. Peut-être entendront-ils parler de moi. Je voudrais aussi avoir quelque avancement à la sous-préfecture ; avec des appointements moins ridicules,