Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/71

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHAPITRE V


la guerre des vieillards contre les jeunes gens


En mer, quand le ciel est très pur, les capitaines qui commandent les navires aperçoivent tout à coup un petit point noir à l’horizon, que les passagers insoucieux ou inexpérimentés ne voient jamais. Ce point noir fait frémir les marins ; bientôt il grandit et se change en tache, la tache devient un nuage, puis un troupeau de nuages pareils à des béliers noirs et courant avec fureur ; les nuages prennent tout le ciel, secouent des éclairs comme des torches, et crèvent en ouragans impitoyables qui jettent navires et gens au fond de la mer. Un pareil petit point noir naissait à l’horizon, au loin des deux jeunes gens.

On était un lundi. Émile annonça à Henriette qu’il ne reviendrait que le vendredi. Il avait l’intention de faire faire son portrait par un jeune peintre d’assez de talent qui habitait la ville. Une centaine de francs d’économies (il ne dépensait rien dans cette province) avaient été destinés par lui à payer ce travail que le peintre exécutait rapidement.

Le vendredi, le temps fut très beau. Le ciel était d’un bleu vigoureux ; les ombres de la matinée, courtes, dures et très noires, maintenaient encore la fraîcheur de la rosée sur les herbes et dessinaient les massifs d’arbres en lignes nettes et comme coupantes. Toutes les mouches de la création criaient autour des fleurs, dont l’odeur était dans toute sa puissance. À force de soleil, l’herbe ne paraissait plus être