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Page:Duras - Ourika et Édouard, II.djvu/11

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ÉDOUARD.

l’emporta sur tout le reste, et je pris un billet pour une fête que donnait l’ambassadeur d’Angleterre et où la reine devait aller. Je me plaçai en effet sur des gradins qu’on avait construits dans l’embrasure des fenêtres d’un immense salon ; j’avais à côté de moi un rideau derrière lequel je pouvais me cacher, et j’attendis là madame de Nevers, non sans un sentiment pénible ; car tout ce que j’avais prévu arriva, et je ne fus pas plus tôt sur ce gradin que le désespoir me prit d’y être. Le langage que j’entendais autour de moi blessait mon oreille. Quelque chose de commun, de vulgaire, dans les remarques, me choquait et m’humiliait, comme si j’en eusse été responsable. Cette société momentanée où je me trouvais avec mes égaux m’apprenait combien je m’étais placé loin d’eux. Je m’irritais aussi de ce que je trouvais en moi cette petitesse de caractère qui me rendait si sensible à leurs ridicules. Le vrai mérite dépend-il donc des manières ? me disais-je. Qu’il est indigne à moi de désavouer ainsi au fond de mon âme le rang où je suis placé et que je tiens de mon père ! N’est-il pas honorable ce rang ? Qu’ai-je donc à envier ? Madame de Nevers entrait en ce moment. Qu’elle était belle et charmante ! Ah ! pensai-je, voilà ce que j’envie ; ce n’est pas le rang pour le rang ; c’est qu’il me ferait son égal. Ô mon Dieu ! huit jours seulement d’un tel bonheur, et puis la mort !