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Page:Duras - Ourika et Édouard, II.djvu/24

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ÉDOUARD.

raconté naïvement, et s’en serait moqué le premier. Cette grande bonne foi d’un caractère élevé est un des spectacles les plus satisfaisants que l’homme puisse rencontrer ; il console et honore ceux mêmes qui ne sauraient y atteindre. Je parlais un jour avec admiration à madame de Nevers du caractère de son père. « Vous avez, me dit-elle, tout ce qu’il faut pour le comprendre ; le monde admire ce qui est bien, mais c’est souvent sans savoir pourquoi ; ce qui est doux, c’est de retrouver dans une autre âme tous les éléments de la sienne ; et quoi qu’on fasse, dit-elle, ces âmes se rapprochent ; on veut en vain les séparer ! — Ne dites pas cela, lui répondis-je, je vous prouverais trop aisément le contraire. — Peut-être ce que vous me diriez fortifierait mon raisonnement, reprit-elle ; mais je ne veux pas le savoir. » Elle se rapprocha de l’abbé Tercier, qui était sa ressource pour ne pas rester seule avec moi. Il était impossible qu’elle ne vît pas que je l’adorais : quelquefois j’oubliais l’obstacle éternel qui nous séparait. Dans cette solitude, le bonheur était le plus fort. La voir, l’entendre, marcher près d’elle, sentir son bras s’appuyer sur le mien, c’étaient autant de délices auxquelles je m’abandonnais avec transport. Il faut avoir aimé pour savoir jusqu’où peut aller l’imprévoyance. Il semble que la vie soit concentrée dans un seul point, et que tout le reste ne se présente plus à