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ÉDOUARD.

l’esprit que comme des images effacées. C’est avec effort que l’on appelle sa pensée sur d’autres objets ; et dès que l’effort cesse, on rentre dans la nature de la passion, dans l’oubli de tout ce qui n’est pas elle. Quelquefois je croyais que madame de Nevers n’était pas insensible à un sentiment qui ressemblait si peu à ce qu’elle avait pu inspirer jusqu’alors ; mais, par la bizarrerie de ma situation, l’idée d’être aimé, qui aurait dû me combler de joie, me glaçait de crainte. Je ne mesurais qu’alors la distance qui nous séparait ; je ne sentais qu’alors de combien de manières il était impossible que je fusse heureux. Le remords aussi entrait dans mon âme avec l’idée qu’elle pouvait m’aimer. Jusqu’ici je l’avais adorée en secret, sans but, sans projets, et sachant bien que cette passion ne pouvait me conduire qu’à ma perte ; mais enfin je n’étais responsable à personne du choix que je faisais pour moi-même. Mais si j’étais aimé d’elle, combien je devenais coupable ! Quoi ! je serais venu chez M. le maréchal d’Olonne, il m’aurait traité comme son fils, et je n’aurais usé de la confiance qui m’admettait chez lui que pour adorer sa fille, pour m’en faire aimer, pour la précipiter peut-être dans les tourments d’une passion sans espoir ! Cette trahison me paraissait indigne de moi, et l’idée d’être aimé qui m’enivrait ne pouvait pourtant m’aveugler au point de voir une excuse possible à une telle