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Page:Duras - Ourika et Édouard, II.djvu/26

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ÉDOUARD.

conduite ; mais là encore l’amour était le plus fort, il n’effaçait pas mes remords, mais il m’ôtait le temps d’y penser. D’ailleurs la certitude d’être aimé était bien loin de moi, et le temps s’écoulait comme il passe à vingt-trois ans avec une passion qui vous possède entièrement. Un soir la chaleur était étouffante ; on n’avait pu sortir de tout le jour ; le soleil venait de se coucher, et l’on avait ouvert les fenêtres pour obtenir un peu de fraîcheur. M. le maréchal d’Olonne, l’abbé, et deux hommes d’une petite ville voisine, assez instruits, étaient engagés dans une conversation sur l’économie politique ; ils agitaient depuis une heure la question du commerce des grains, et cela faisait une de ces conversations pesantes où l’on parle longuement, où l’on suit un raisonnement, où les arguments s’enchaînent, et où l’attention de ceux qui écoutent est entièrement absorbée ; mais rien aussi n’est si favorable à la rêverie de ceux qui n’écoutent pas ; ils savent qu’ils ne seront pas interrompus, et qu’on est trop occupé pour songer à eux. Madame de Nevers s’était assise dans l’embrasure d’une des fenêtres pour respirer l’air frais du soir ; un grand jasmin qui tapissait le mur de ce côté du château, montait dans la fenêtre, et s’entrelaçait dans le balcon. Debout, à deux pas derrière elle, je voyais son profil charmant se dessiner sur un ciel d’azur, encore doré par les derniers rayons