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ÉDOUARD.

d’éviter les soupçons. Lorsque je réfléchis aujourd’hui sur quelles bases fragiles était construit l’édifice de mon bonheur, je m’étonne d’avoir pu m’y livrer, ne fût-ce qu’un instant, avec une sécurité si entière : mais la passion crée autour d’elle un monde idéal. On juge tout par d’autres règles ; les proportions sont agrandies : le factice, le commun disparaissent de la vie ; on croit les autres capables des mêmes sacrifices qu’on ferait soi-même, et lorsque le monde réel se présente à vous, armé de sa froide raison, il cause un douloureux étonnement. Un matin, comme j’allais descendre chez madame de Nevers, mon oncle, M. d’Herbelot, entra dans ma chambre. Depuis l’exil de M. le maréchal d’Olonne, je le voyais peu ; ses procédés à cette époque avaient encore augmenté l’éloignement que je m’étais toujours senti pour lui. Croyant qu’il était de mon devoir de ne pas me brouiller avec le frère de ma mère, j’allais chez lui de temps en temps. Il me traitait toujours très-bien, mais depuis près de trois semaines, je ne l’avais pas aperçu. Il entra avec cet air jovial et goguenard qui annonçait toujours quelque histoire scandaleuse. Il se plaisait à cette sorte de conversation, et y mêlait une bonhomie qui m’était encore plus désagréable que la franche méchanceté ; car porter de la simplicité et un bon cœur dans le vice, est le comble de la corruption. « Eh bien ! Édouard, me