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ÉDOUARD.

rée d’un songe ! Mon crime était irréparable ! Si j’épousais à présent madame de Nevers, que n’imaginerait-on pas ! Quelle calomnie nouvelle inventerait-on pour la flétrir ? Il fallait fuir ! il fallait la quitter ! je le sentais, je voyais que c’était mon devoir ; mais cette nécessité funeste m’apparaissait comme un fantôme dont je détournais la vue. Je reculais devant ce malheur, ce dernier malheur, qui achevait pour moi tous les autres, et mettait le comble à mon désespoir. Je ne pouvais croire que cette séparation fût possible : le monde ne m’offrait pas un asile loin d’elle ; elle seule était pour moi la patrie ; tout le reste, un vaste exil. Déchiré par la douleur, je perdais jusqu’à la faculté de réfléchir ; je voyais bien que je ne pouvais rester près de madame de Nevers ; je sentais que je voulais la venger, surtout sur le duc de L…, que mon oncle m’avait désigné comme l’un des auteurs de ces calomnies. Mais le désespoir surmontait tout ; j’étais comme noyé, abîmé, dans une mer de pensées accablantes : aucune consolation, aucun repos ne se présentait d’aucun côté ; je ne pouvais pas même me dire que le sacrifice que je ferais en partant serait utile ; je le faisais trop tard ; je ne prenais pas une résolution vertueuse ; je fuyais madame de Nevers comme un criminel, et rien ne pouvait réparer le mal que j’avais fait : ce mal était irréparable ! Tout mon sang versé ne rachèterait pas