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Page:Duras - Ourika et Édouard, II.djvu/78

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ÉDOUARD.

tous les êtres vivants et inanimés qui se présentaient à mes regards. Je m’aperçus que c’était la mort que j’avais cherchée chez le duc de L., car je ne m’étais occupé de rien au-delà de cette visite. La vie se présentait devant moi comme un champ immense et stérile, où je ne pouvais faire un pas sans dégoût et sans désespoir. Je me sentais accablé sous un manteau de plomb. Un instant peut me délivrer de ce supplice ! pensai-je ; et une tentation affreuse, mais irrésistible, me précipita du côté de la rivière !

Le duc de L. logeait à l’extrémité du faubourg Saint-Germain, vers les nouveaux boulevards, et je descendais la rue du Bac avec précipitation dans ces horribles pensées. J’étais coudoyé et arrêté à chaque instant par la foule qui se pressait dans cette rue populeuse. Ces hommes qui allaient tranquillement à leurs affaires me faisaient horreur. La nature humaine se révolte contre l’isolement, elle a besoin de compassion ; la vue d’un autre homme, d’un semblable, insensible à nos douleurs, blesse ce don de pitié que Dieu mit au fond de nos âmes, et que la société étouffe et remplace par l’égoïsme. Ce sentiment amer augmentait encore mon irritation : on dirait que le désespoir se multiplie par lui-même. Le mien était au comble, lorsque tout à coup je crus reconnaître la voiture de madame de Nevers, qui venait vers moi. Je distinguai de loin ses che-