Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/17

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

même — opération strictement scientifique — nous pourrons trouver qu’il n’est pas tout entier d’accord avec soi, qu’il contient des contradictions, c’est-à-dire des imperfections, et chercher à les éliminer ou à les redresser ; voilà un nouvel objectif que la science offre à la volonté. Mais, dit on, si la science prévoit, elle ne commande pas. Il est vrai ; elle nous dit seulement ce qui est nécessaire à la vie. Mais comment ne pas voir que, à supposer que l’homme veuille vivre, une opération très simple transforme immédiatement les lois qu’elle établit en règles impératives de conduite. Sans doute elle se change alors en art ; mais le passage de l’une à l’autre se fait sans solution de continuité. Reste à savoir si nous devons vouloir vivre ; même sur cette question ultime, la science, croyons-nous, n’est pas muette[1].

Mais si la science de la morale ne fait pas de nous des spectateurs indifférents ou résignés de la réalité, elle nous apprend en même temps à la traiter avec la plus extrême prudence, elle nous communique un esprit sagement conservateur. On a pu, et à bon droit, reprocher à certaines théories qui se disent scientifiques d’être subversives et révolutionnaires ; mais c’est qu’elles ne sont scientifiques que de nom. En effet, elles construisent, mais n’observent pas. Elles voient dans la morale, non un ensemble de faits acquis qu’il faut étudier, mais une sorte de législation toujours révocable que chaque penseur institue à nouveau. La morale réellement pratiquée par les hommes n’est alors considérée que comme une collection d’habitudes, de préjugés qui n’ont de valeur que s’ils sont conformes à la doctrine proposée ; et comme

  1. Nous y touchons un peu plus loin, liv. II, ch. I, p. 269.