Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/302

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nos jouissances et de la régularité dans nos plaisirs. En même temps que nous aimons à changer, nous nous attachons à ce que nous aimons et nous ne pouvons pas nous en séparer sans peine. Il est d’ailleurs nécessaire qu’il en soit ainsi pour que la vie puisse se maintenir : car, si elle n’est pas possible sans changement, si même elle est d’autant plus flexible qu’elle est plus complexe, cependant elle est avant tout un système de fonctions stables et régulières. Il y a, il est vrai, des individus chez qui le besoin du nouveau atteint une intensité exceptionnelle. Rien de ce qui existe ne les satisfait ; ils ont soif de choses impossibles ; ils voudraient mettre une autre réalité à la place de celle qui leur est imposée. Mais ces mécontents incorrigibles sont des malades, et le caractère pathologique de leur cas ne fait que confirmer ce que nous venons de dire.

Enfin, il ne faut pas perdre de vue que ce besoin est de sa nature très indéterminé. Il ne nous attache à rien de précis, puisque c’est un besoin de quelque chose qui n’est pas. Il n’est donc qu’à demi constitué ; car un besoin complet comprend deux termes : une tension de la volonté et un objet certain. Comme l’objet n’est pas donné au dehors, il ne peut avoir d’autre réalité que celle que lui prête l’imagination. Ce processus est à demi représentatif. Il consiste plutôt dans des combinaisons d’images, dans une sorte de poésie intime que dans un mouvement effectif de la volonté. Il ne nous fait pas sortir de nous-même ; ce n’est guère qu’une agitation interne qui cherche une voie vers le dehors, mais ne l’a pas encore trouvée. Nous rêvons de sensations nouvelles, mais c’est une aspiration indécise qui se disperse sans prendre corps. Par conséquent, là même où elle est le plus énergique, elle ne peut avoir la force de besoins fermes et définis qui, dirigeant toujours la volonté dans le même sens et par des voies toutes frayées, la stimulent d’autant plus impérieusement qu’ils ne laissent de place ni aux tâtonnements ni aux délibérations.

En un mot, on ne peut admettre que le progrès ne soit qu’un