Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/301

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Voilà pourquoi un adulte sain éprouve toujours le même plaisir à boire, à manger, à dormir, quoiqu’il dorme, boive et mange tous les jours. Il en est de même des besoins de l’esprit, qui sont, eux aussi, périodiques comme les fonctions psychiques auxquelles ils correspondent. Les plaisirs que nous procurent la musique, les beaux-arts, la science se maintiennent intégralement pourvu qu’ils alternent.

Si même la continuité peut ce que la répétition ne peut pas, elle ne nous inspire pas pour cela un besoin d’excitations nouvelles et imprévues. Car, si elle abolit totalement la conscience de l’état agréable, nous ne pouvons pas nous apercevoir que le plaisir qui y était attaché s’est en même temps évanoui ; il est d’ailleurs remplacé par cette sensation générale de bien-être qui accompagne l’exercice régulier des fonctions normalement continues, et qui n’a pas un moindre prix. Nous ne regrettons donc rien. Qui de nous a jamais eu envie de sentir battre son cœur ou fonctionner ses poumons ? Si, au contraire, il y a douleur, nous aspirons simplement à un état qui diffère de celui qui nous fatigue. Mais, pour faire cesser cette souffrance, il n’est pas nécessaire de nous ingénier. Un objet connu, qui d’ordinaire nous laisse froid, peut même dans ce cas nous causer un vif plaisir s’il fait contraste avec celui qui nous lasse. Il n’y a donc rien dans la manière dont le temps affecte l’élément fondamental du plaisir qui puisse nous provoquer à un progrès quelconque. Il est vrai qu’il en est autrement de la nouveauté, dont l’attrait n’est pas durable. Mais si elle donne plus de fraîcheur au plaisir, elle ne le constitue pas. C’en est seulement une qualité secondaire et accessoire, sans laquelle il peut très bien exister, quoiqu’il risque alors d’être moins savoureux. Quand donc elle s’efface, le vide qui en résulte n’est pas très sensible ni le besoin de le combler très intense.

Ce qui en diminue encore l’intensité, c’est qu’il est neutralisé par un sentiment contraire qui est beaucoup plus fort et plus fortement enraciné en nous : c’est le besoin de la stabilité dans