Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/314

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elles sont parfois si tranchées que les individus entre lesquels le travail est divisé forment comme autant d’espèces distinctes et même opposées. On dirait qu’ils conspirent pour s’écarter le plus possible les uns des autres. Quelle ressemblance y a-t-il entre le cerveau qui pense et l’estomac qui digère ? De même, qu’y a-t-il de commun entre le poète tout entier à son rêve, le savant tout entier à ses recherches, l’ouvrier qui passe sa vie à tourner des têtes d’épingles, le laboureur qui pousse sa charrue, le marchand derrière son comptoir ? Si grande que soit la variété des conditions extérieures, elle ne présente nulle part des différences qui soient en rapport avec des contrastes aussi fortement accusés, et qui, par conséquent, puissent en rendre compte. Alors même que l’on compare, non plus des fonctions très éloignées l’une de l’autre, mais seulement des embranchements divers d’une même fonction, il est souvent tout à fait impossible d’apercevoir à quelles dissemblances extérieures peut être due leur séparation. Le travail scientifique va de plus en plus en se divisant. Quelles sont les conditions climatériques, géologiques ou même sociales qui peuvent avoir donné naissance à ces talents si différents du mathématicien, du chimiste, du naturaliste, du psychologue, etc. ?

Mais, là même où les circonstances extérieures inclinent le plus fortement les individus à se spécialiser dans un sens défini, elles ne suffisent pas à déterminer cette spécialisation. Par sa constitution, la femme est prédisposée à mener une vie différente de l’homme ; cependant, il y a des sociétés où les occupations des sexes sont sensiblement les mêmes. Par son âge, par les relations de sang qu’il soutient avec ses enfants, le père est tout indiqué pour exercer dans la famille ces fonctions directrices dont l’ensemble constitue le pouvoir paternel. Cependant, dans la famille maternelle, ce n’est pas à lui qu’est dévolue cette autorité. Il parait tout naturel que les différents membres de la famille aient des attributions, c’est-à-dire des fonctions différentes suivant leur degré de parenté ; que le père et l’oncle, le