Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/408

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

biologique. Là même où elle est le plus simple, elle garde sa spécificité. Il y a toujours des croyances et des pratiques qui sont communes aux hommes sans être inscrites dans leurs tissus. Mais ce caractère s’accuse davantage à mesure que la matière et que la densité sociales s’accroissent. Plus il y a d’associés et plus ils réagissent les uns sur les autres, plus aussi le produit de ces réactions déborde l’organisme. L’homme se trouve ainsi placé sous l’empire de causes sui generis dont la part relative dans la constitution de la nature humaine devient toujours plus considérable.

Il y a plus : l’influence de ce facteur n’augmente pas seulement en valeur relative, mais en valeur absolue. La même cause qui accroît l’importance du milieu collectif, ébranle le milieu organique de manière à le rendre plus accessible à l’action des causes sociales et à l’y subordonner. Parce qu’il y a plus d’individus qui vivent ensemble, la vie commune est plus riche et plus variée ; mais, pour que cette variété soit possible, il faut que le type organique soit moins défini afin de pouvoir se diversifier. Nous avons vu en effet que les tendances et les aptitudes transmises par l’hérédité devenaient toujours plus générales et plus indéterminées, plus réfractaires par conséquent à se prendre sous forme d’instincts. Il se produit ainsi un phénomène qui est exactement l’inverse de celui que l’on observe aux débuts de l’évolution. Chez les animaux, c’est l’organisme qui s’assimile les faits sociaux et, les dépouillant de leur nature spéciale, les transforme en faits biologiques. La vie sociale se matérialise. Dans l’humanité, au contraire, et surtout dans les sociétés supérieures, ce sont les causes sociales qui se substituent aux causes organiques. C’est l’organisme qui se spiritualise.

Par suite de ce changement de dépendance, l’individu se transforme. Comme cette activité qui surexcite l’action spéciale des causes sociales ne peut pas se fixer dans l’organisme, une vie nouvelle, sui generis elle aussi, se surajoute à celle du corps. Plus libre, plus complexe, plus indépendante des organes qui la