Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/446

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étroits, se brisent. Quand le régime des castes a disparu juridiquement, il se survit à lui-même dans les mœurs grâce à la persistance des préjugés ; une certaine faveur s’attache aux uns, une certaine défaveur aux autres qui est indépendante de leurs mérites. Enfin, alors même qu’il ne reste, pour ainsi dire, plus de trace de tous ces vestiges du passé, la transmission héréditaire de la richesse suffit à rendre très inégales les conditions extérieures dans lesquelles la lutte s’engage ; car elle constitue au profit de quelques-uns des avantages qui ne correspondent pas nécessairement à leur valeur personnelle. Même aujourd’hui et chez les peuples les plus cultivés, il y a des carrières qui sont ou totalement fermées, ou plus difficiles aux déshérités de la fortune. Il pourrait donc sembler que l’on n’a pas le droit de considérer comme normal un caractère que la division du travail ne présente jamais à l’état de pureté, si l’on ne remarquait d’autre part que plus on s’élève dans l’échelle sociale, plus le type segmentaire disparaît sous le type organisé, plus aussi ces inégalités tendent à se niveler complètement.

En effet, le déclin progressif des castes, à partir du moment où la division du travail s’est établie, est une loi de l’histoire ; car, comme elles sont liées à l’organisation politico-familiale, elles régressent nécessairement avec cette organisation. Les préjugés auxquels elles ont donné naissance et qu’elles laissent derrière elles ne leur survivent pas indéfiniment, mais s’éteignent peu à peu. Les emplois publics sont de plus en plus librement ouverts à tout le monde, sans condition de fortune. Enfin, même cette dernière inégalité qui vient de ce qu’il y a des riches et des pauvres de naissance, sans disparaître complètement, est du moins quelque peu atténuée. La société s’efforce de la réduire autant que possible, en assistant par divers moyens ceux qui se trouvent placés dans une situation trop désavantageuse et en les aidant à en sortir. Elle témoigne ainsi qu’elle se sent obligée de faire la place libre à tous les mérites et qu’elle reconnaît comme injuste une infériorité qui n’est pas personnellement