Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/445

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relégués par force dans des fonctions déterminées, mais encore qu’aucun obstacle, de nature quelconque, ne les empêche d’occuper dans les cadres sociaux la place qui est en rapport avec leurs facultés. En un mot, le travail ne se divise spontanément que si la société est constituée de manière à ce que les inégalités sociales expriment exactement les inégalités naturelles. Or, pour cela, il faut et il suffit que ces dernières ne soient ni rehaussées ni dépréciées par quelque cause extérieure. La spontanéité parfaite n’est donc qu’une conséquence et une autre forme de cet autre fait : l’absolue égalité dans les conditions extérieures de la lutte. Elle consiste, non dans un état d’anarchie qui permettrait aux hommes de satisfaire librement toutes leurs tendances bonnes ou mauvaises, mais dans une organisation savante où chaque valeur sociale, n’étant exagérée ni dans un sens ni dans l’autre par rien qui lui fût étranger, serait estimée à son juste prix. On objectera que, même dans ces conditions, il y a encore lutte, par suite, des vainqueurs et des vaincus, et que ces derniers n’accepteront jamais leur défaite que contraints. Mais cette contrainte ne ressemble pas à l’autre et n’a de commun avec elle que le nom : ce qui constitue la contrainte proprement dite, c’est que la lutte même est impossible, c’est que l’on n’est même pas admis à combattre.

Il est vrai que cette spontanéité parfaite ne se rencontre nulle part comme un fait réalisé. Il n’y a pas de société où elle soit sans mélange. Si l’institution des castes correspond à la répartition naturelle des capacités, ce n’est cependant que d’une manière approximative et, en somme, grossière. L’hérédité, en effet, n’agit jamais avec une telle précision que, même là où elle rencontre les conditions les plus favorables à son influence, les enfants répètent identiquement les parents. Il y a toujours des exceptions à la règle et, par conséquent, des cas où l’individu n’est pas en harmonie avec les fonctions qui lui sont attribuées. Ces discordances deviennent plus nombreuses à mesure que la société se développe, jusqu’au jour où les cadres, devenus trop