Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/452

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engendrer à lui seul ce pouvoir de lier qui est inhérent aux conventions ; du moins, pour que le consentement ait cette vertu, il faut qu’il repose lui-même sur un fondement objectif.

La condition nécessaire et suffisante pour que cette équivalence soit la règle des contrats, c’est que les contractants soient placés dans des conditions extérieures égales. En effet, comme l’appréciation des choses ne peut pas être déterminée a priori mais se dégage des échanges eux-mêmes, il faut que les individus qui échangent n’aient pour faire apprécier ce que vaut leur travail d’autre force que celle qu’ils tirent de leur mérite social. De cette manière, en effet, les valeurs des choses correspondent exactement aux services qu’elles rendent et à la peine qu’elles coûtent ; car tout autre facteur, capable de les faire varier, est, par hypothèse, éliminé. Sans doute, leur mérite inégal fera toujours aux hommes des situations inégales dans la société ; mais ces inégalités ne sont extérieures qu’en apparence, car elles ne font que traduire au dehors des inégalités internes ; elles n’ont donc d’autre influence sur la détermination des valeurs que d’établir entre ces dernières une graduation parallèle à la hiérarchie des fonctions sociales. Il n’en est plus de même si quelques-uns reçoivent de quelque autre source un supplément d’énergie ; car celle-ci a nécessairement pour effet de déplacer le point d’équilibre, et il est clair que ce déplacement est indépendant de la valeur sociale des choses. Toute supériorité a son contre-coup sur la manière dont les contrats se forment ; si donc elle ne tient pas à la personne des individus, à leurs services sociaux, elle fausse les conditions morales de l’échange. Si une classe de la société est obligée, pour vivre, de faire accepter à tout prix ses services, tandis que l’autre peut s’en passer, grâce aux ressources dont elle dispose et qui pourtant ne sont pas nécessairement dues à quelque supériorité sociale, la seconde fait injustement la loi à la première. Autrement dit, il ne peut pas y avoir des riches et des pauvres de naissance sans qu’il y ait des contrats injustes. À plus forte raison en était-il ainsi