Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/77

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est toujours une sorte de coup d’État scientifique, nous avons dit plus haut pourquoi une telle position est impossible à soutenir.

Il y a plus ; si la division du travail ne remplit pas d’autre rôle, non seulement elle n’a pas de caractère moral, mais on n’aperçoit pas quelle raison d’être elle peut avoir. Nous verrons, en effet, que par elle-même la civilisation n’a pas de valeur intrinsèque et absolue : ce qui en fait le prix, c’est qu’elle correspond à certains besoins. Or, cette proposition sera démontrée plus loin[1], ces besoins sont eux-mêmes des conséquences de la division du travail. C’est parce que celle-ci ne va pas sans un surcroît de fatigue que l’homme est contraint de rechercher, comme un surcroît de réparations, ces biens de la civilisation qui, autrement, seraient pour lui sans intérêt. Si donc la division du travail ne répondait pas à d’autres besoins que ceux-là, elle n’aurait d’autre fonction que d’atténuer les effets qu’elle produit elle-même, que de panser les blessures qu’elle fait. Dans ces conditions, il pourrait être nécessaire de la subir, mais il n’y aurait aucune raison de la vouloir puisque les services qu’elle rendrait se réduiraient à réparer les pertes qu’elle cause.

Tout nous invite donc à chercher une autre fonction à la division du travail. Quelques faits d’observation courante vont nous mettre sur le chemin de la solution.

II


Tout le monde sait que nous aimons qui nous ressemble, quiconque pense et sent comme nous. Mais le phénomène contraire ne se rencontre pas moins fréquemment. Il arrive très souvent que nous nous sentons portés vers des personnes qui ne nous ressemblent pas, précisément parce qu’elles ne nous ressemblent pas. Ces faits sont en apparence si contradictoires

  1. V. liv. II, ch. I et V.