Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/96

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essentielles d’une chose sont celles que l’on observe partout où cette chose existe et qui n’appartiennent qu’à elle. Si donc nous voulons savoir en quoi consiste essentiellement le crime, il faut dégager les traits qui se retrouvent les mêmes dans toutes les variétés criminologiques des différents types sociaux. Il n’en est point qui puissent être négligées. Les conceptions juridiques des sociétés les plus inférieures ne sont pas moins dignes d’intérêt que celles des sociétés les plus élevées ; elles sont des faits non moins instructifs. En faire abstraction serait nous exposer à voir l’essence du crime là où elle n’est pas. C’est ainsi que le biologiste aurait donné des phénomènes vitaux une définition très inexacte, s’il avait dédaigné d’observer les êtres monocellulaires ; car de la seule contemplation des organismes et surtout des organismes supérieurs, il aurait conclu à tort que la vie consiste essentiellement dans l’organisation.

Le moyen de trouver cet élément permanent et général n’est évidemment pas de dénombrer les actes qui ont été en tout temps et en tout lieu qualifiés de crimes, pour observer les caractères qu’ils présentent. Car si, quoi qu’on en ait dit, il y a des actions qui ont été universellement regardées comme criminelles, elles sont l’infime minorité et, par conséquent, une telle méthode ne pourrait nous donner du phénomène qu’une notion singulièrement tronquée, puisqu’elle ne s’appliquerait qu’à des exceptions[1]. Ces variations du droit répressif prouvent en

  1. C’est pourtant cette méthode qu’a suivie M. Garofalo. Sans doute, il semble y renoncer quand il reconnaît l’impossibilité de dresser une liste de faits universellement punis (Criminologie, 3), ce qui d’ailleurs est excessif. Mais il y revient finalement puisque, en somme, le crime naturel est pour lui celui qui froisse les sentiments qui sont partout à la base du droit pénal, c’est-à-dire la partie invariable du sens moral et celle-là seulement. Mais pourquoi le crime qui froisse quelque sentiment particulier à certains types sociaux serait-il moins crime que les autres ? M. Garofalo est ainsi amené à refuser le caractère de crime à des actes qui ont été universellement reconnus comme criminels dans certaines espèces sociales et, par suite, à rétrécir artificiellement les cadres de la criminalité. Il en résulte que sa notion du crime est singulièrement incomplète. Elle est aussi bien flottante, car l’auteur ne fait pas entrer dans ses comparaisons tous les types sociaux, mais il en exclut un grand nom-