Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/99

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nécessaires parce qu’elles les jugent nécessaires. Ce qu’il nous faudrait dire, c’est pourquoi elles les jugent ainsi. Si ce sentiment avait sa cause dans la nécessité objective des prescriptions pénales ou du moins dans leur utilité, ce serait une explication. Mais elle est contredite par les faits ; la question reste tout entière.

Cependant cette dernière théorie n’est pas sans quelque fondement ; c’est avec raison qu’elle cherche dans certains états du sujet les conditions constitutives de la criminalité. En effet, le seul caractère commun à tous les crimes, c’est qu’ils consistent — sauf quelques exceptions apparentes qui seront examinées plus loin — en des actes universellement réprouvés par les membres de chaque société. On se demande aujourd’hui si cette réprobation est rationnelle et s’il ne serait pas plus sage de ne voir dans le crime qu’une maladie ou qu’une erreur. Mais nous n’avons pas à entrer dans ces discussions ; nous cherchons à déterminer ce qui est ou a été, non ce qui doit être. Or la réalité du fait que nous venons d’établir n’est pas contestable ; c’est dire que le crime froisse des sentiments qui, pour un même type social, se retrouvent dans toutes les consciences saines.

Il n’est pas possible de déterminer autrement la nature de ces sentiments, de les définir en fonction de leurs objets particuliers ; car ces objets ont infiniment varié et peuvent varier encore[1]. Aujourd’hui, ce sont les sentiments altruistes qui présentent ce caractère de la manière la plus marquée ; mais il fut un temps très voisin de nous, où les sentiments religieux, domestiques et mille autres sentiments traditionnels avaient exactement les mêmes effets. Maintenant encore, il s’en faut que la sympathie négative pour autrui soit, comme le veut M. Garofalo, seule à produire ce résultat. Est-ce que, même en temps de paix, nous

  1. Nous ne voyons pas quelle raison scientifique M. Garofalo a de dire que les sentiments moraux actuellement acquis à la partie civilisée de l’humanité constituent une morale « non susceptible de perte, mais d’un développement toujours croissant » (p. 9). Qu’est-ce qui permet de marquer ainsi une limite aux changements qui se feront dans un sens ou dans l’autre ?