Page:Durkheim - L'Allemagne au-dessus de tout.djvu/43

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condensé sa conception du devoir militaire en temps d’hostilités. Certaines de ces propositions rappellent directement celles de Treitschke. « Peut être employé, dit l’état-major, tout moyen sans lequel le but de la guerre ne saurait être atteint[1]. » C’est la réédition, sous une forme particulière, du précepte général de Treitschke : en matière politique, la fin justifie les moyens. D’où il suit, suivant un mot du général von Hartmann, que « le droit des gens devra se garder de paralyser l’action militaire en lui imposant des entraves[2] ». Si, pour abattre la volonté de l’adversaire, il est bon de terroriser la population civile, on la terrorisera et tous les moyens efficaces, si terribles qu’ils puissent être, seront licites.

D’autre part, les atrocités particulières commises par les troupes ne sont que l’application méthodique de ces préceptes et de ces règlements. Ainsi, tout se tient et s’enchaîne sans solution de continuité : une conception déterminée de l’État se traduit en règles d’action édictées par l’autorité militaire, et ces règles, à leur tour, se réalisent en actes par l’intermédiaire des individus. Il ne s’agit donc pas, en tout ceci, de fautes individuelles, plus ou moins nombreuses ; mais on est en présence d’un système, parfaitement organisé, qui a ses racines dans la mentalité publique et qui fonctionne automatiquement[3].

  1. Lois et Coutumes de la guerre continentale, p. 9.
  2. Militärische Notwendigkeit und Humanität, in Deutsche Rundschau, XIII, p. 119.
  3. Treitschke a traité lui-même, très brièvement, la question des lois de la guerre. Le principe dont il part est bien celui sur lequel repose la doctrine officielle de l’état-major allemand : tout doit être subordonné aux nécessités militaires. « La guerre, écrit-il, sera, de plein droit, conduite de la manière qui promet d’être la plus efficace, parce que son but, qui est la paix, sera ainsi atteint le plus vite possible. Pour cette raison, il faut s’appliquer à frapper l’ennemi au cœur. Les armes les plus terribles sont ici absolument permises, pourvu qu’elles ne causent pas de souffrances inutiles aux blessés. À cela, il ne sera rien changé par les déclamations des philanthropes… » (II, p. 564). Dans l’application du principe, il fait preuve d’une relative modération. Il condamne, par exemple, la destruction inutile des œuvres d’art et recommande le respect de la propriété privée. Toutefois, l’humanité qu’il laisse filtrer dans le petit code de droit des gens qu’il établit est dosée au compte-gouttes. Après avoir reconnu qu’aujourd’hui la conscience publique n’admet pas que, dans la guerre entre civilisés, on incendie villes et villages, il ajoute : « On ne doit pas faire de l’État un champ d’expériences pour sentiments humanitaires » (III, p. 569).
    On s’explique mal, d’ailleurs, que Treitschke parle d’un droit international en temps de guerre, puisque l’État n’a de comptes à rendre qu’à lui-même. Il ne doit rien au sens propre du mot.