Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/272

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250 LK SUICIDE. Comme beaucoup d’entre eux sont mariés, ce n’est pas aux cé- libataires de cet âge qu’il faut les comparer, mais à l’ensemble de la population masculine, garçons et époux réunis. Or, à 37 ans, en 1863-68, un million d’hommes de tout état civil ne donnait qu’un peu plus de WO suicides. Ce nombre est à 430, comme 100 est à21S, ce qui fait un coefficient d’aggravation de 2,15 qui ne dépend en rien du mariage ni de la vie de famille. Ce coefficient qui, suivant les différents degrés de la hié- rarchie, varie de 1,6 à près de 4, ne peut évidemment s’expli- quer que par des causes propres à l’état militaire. Il est vrai que nous n’en avons directement établi l’existence que pour la France; pour les autres pays, les données nécessaires pour isoler l’influence du célibat nous font défaut. Mais, comme l’armée française se trouve justement être la moins éprouvée par le suicide qui soit en Europe, à l’exception du seul Danemark, on peut être certain que le résultat précédent est général et même qu’il doit être encore plus marqué dans les autres États euro- péens. A quelle cause l’attribuer? On a songé à l’alcoolisme qui, dit-on, sévit avec plus de vio- lence dans l’armée que dans la population civile. Mais d’abord, si, comme nous l’avons montré, l’alcoolisme n’a pas d’influence définie sur le taux des suicides en général, il ne saurait en avoir davantage sur le taux des suicides militaires en particulier. Ensuite, les quelques années que dure le service, trois ans en France et deux ans et demi en Prusse, ne sauraient suffire à faire un assez grand nombre d’alcooliques invétérés pour que l’énorme contingent que l’armée fournit au suicide pût s’expli- quer ainsi. Enfin, même d’après les observateurs qui attribuent le plus d’influence à l’alcoolisme, un dixième seulement des cas lui serait imputable. Par conséquent, quand même les suicides alcooliques seraient deux et même trois fois plus nombreux chez les soldats que chez les civils du même âge, ce qui n’est * pas démontré, il resterait toujours un excédent considérable de suicides militaires auxquels il faudrait chercher une autre ori- gine. La cause que l’on a le plus fréquemment invoquée est le dé-