Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/294

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II.

Un vivant quelconque ne peut être heureux et même ne peut vivre que si ses besoins sont suffisamment en rapport avec ses moyens. Autrement, s’ils exigent plus qu’il ne peut leur être accordé ou simplement autre chose, ils seront froissés sans cesse et ne pourront fonctionner sans douleur. Or, un mouvement qui ne peut se produire sans souffrance tend à ne pas se reproduire. Des tendances qui ne sont pas satisfaites s’atrophient et, comme la tendance à vivre n’est que la résultante de toutes les autres, elle ne peut pas ne pas s’affaiblir si les autres se relâchent.

Chez l’animal, du moins à l’état normal, cet équilibre s’établit avec une spontanéité automatique parce qu’il dépend de conditions purement matérielles. Tout ce que réclame l’organisme, c’est que les quantités de substance et d’énergie, employées sans cesse à vivre, soient périodiquement remplacées par des quantités équivalentes ; c’est que la réparation soit égale à l’usure. Quand le vide que la vie a creusé dans ses propres ressources est comblé, l’animal est satisfait et ne demande rien de plus. Sa réflexion n’est pas assez développée pour imaginer d’autres fins que celles qui sont impliquées dans sa nature physique. D’un autre côté, comme le travail exigé de chaque organe dépend lui-même de l’état général des forces vitales et des nécessités de l’équilibre organique, l’usure, à son tour, se règle sur la réparation et la balance se réalise d’elle-même. Les limites de l’une sont aussi celles de l’autre ; elles sont également inscrites dans la constitution même du vivant qui n’a pas le moyen de les dépasser.

Mais il n’en est pas de même de l’homme, parce que la plupart de ses besoins ne sont pas, ou ne sont pas au même degré, sous la dépendance du corps. À la rigueur, on peut encore con-