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LE SUICIDE ANOMIQUE. 309 ° Enfin, plusieurs des faits établis au chapitre m de ce même livre trouvent une explication dans la théorie qui vient d’être exposée et, par cela même, peuvent servir à la vé- rifier. Nous avons vu alors que, par lui-même et indépendamment de la famille, le mariage, en France, conférait à l’homme un coefficient de préservation égal à 1,5. Nous savons maintenant à quoi ce coefficient correspond. Il représente les avantages que Fhomme retire de l’influence régulatrice qu’exerce sur lui le mariage, de la modération qu’il impose à ses penchants et du bien-être moral qui en résulte. Mais nous avons en même temps constaté que, dans ce même pays, la condition de la femme mariée était, au contraire, aggravée tant que la présence d’en- fants ne venait pas corriger les mauvais effets qu’a, pour elle, le mariage. Nous venons d’en dire la raison. Ce n’est pas que l’homme soit, par nature, un être égoïste et méchant dont le rôle dans le ménage serait de faire souffrir sa compagne. C’est qu’en France où, jusqu’à des temps récents, le mariage n’était pas affaibli par le divorce, la règle inflexible qu’il imposait à la femme était pour elle un joug très lourd et sans profit. Plus généralement, voilà à quelle cause est dû cet antagonisme des sexes qui fait que le mariage ne peut pas les favoriser égale- ment (*) : c’est que leurs intérêts sont contraires; l’un a besoin de contrainte et l’autre de liberté. Il semble bien, d’ailleurs, que l’homme, à un certain moment de sa vie, soit affecté par le mariage de la même manière que la femme, quoique pour d’autres raisons. Si, comme nous l’avons montré, les trop jeunes époux se tuent beaucoup plus que les célibataires du même âge, c’est sans doute que leurs passions sont alors trop tumultueuses et trop confiantes en elles-mêmes pour pouvoir se soumettre à une règle aussi sévère. Celle-ci leur apparaît donc comme un obstacle insupportable auquel leurs désirs viennent se heurter et se briser. C’est pourquoi il est probable que le mariage ne produit tous ses effets bienfaisants (1) V. plus haut, p. 193.