Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/365

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l’élément social du suicide. 343 qui s’ignorent mutuellement, viennent, en même nombre, abou- tir au même but. Elles n’agissent pas, au moins en général, les unes sur les autres; il n’y a entre elles aucun concert; et cependant, tout se passe comme si elles exécutaient un même mot d’ordre. C’est donc que, dans le milieu commun qui les enveloppe, il existe quelque force qui les incline toutes dans ce même sens et dont l’intensité plus ou moins grande fait le nom- bre plus ou moins élevé des suicides particuliers. Or, les effets par lesquels cette force se révèle ne varient pas selon les milieux organiques et cosmiques, mais exclusivement selon l’état du milieu social. C’est donc qu’elle est collective. Autrement dit, chaque peuple a collectivement pour le suicide une tendance qui lui est propre et de laquelle dépend l’importance du tribut qu’il paie à la mort volontaire. De ce point de vue, l’invariabilité du taux des suicides n’a plus rien de mystérieux, non plus que son individualité. Car, comme chaque société a son tempérament dont elle ne saurait changer du jour au lendemain, et comme cette tendance au suicide a sa source dans la constitution morale des groupes, il est inévitable et qu’elle diffère d’un groupe èul’autre et que, dans chacun d’eux, elle reste, pendant de longues années, sensiblement égale à elle- même. Elle est un des éléments essentiels de la cénesthésie sociale; or, chez les êtres collectifs comme chez les individus, l’état cénesthésique est ce qu’il y a de plus personnel et de plus immuable, parce qu’il n’est rien de plus fondamental. Mais alors, les effets qui en résultent doivent avoir et la même personnalité et la même stabilité. Il est même naturel qu’ils aient une con- stance supérieure à celle de la mortalité générale. Car la tempé- rature, les influences climatériques, géologiques, en un mot, les conditions diverses dont dépend la santé publique, changent beaucoup plus facilement d’une année à l’autre que l’humeur des nations. Il est, cependant, une hypothèse, différente en apparence de la précédente, qui pourrait tenter quelques esprits. Pour résou- dre la difGculté, ne suffirait-il pas de supposer que les divers incidents de la vie privée qui passent pour être, par excellence,