Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/368

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346 LE SUICIDE. soit entièrement transformé, le taux des suicides militaires ne varie, pour une même nation, qu’avec la plus extrême lenteur. Dans tous les pays, la vie collective évolue selon le même rythme au cours de Tannée; elle croît de janvier à juillet en- viron pour décroître ensuite. Aussi, quoique les membres des diverses sociétés européennes ressortissent à des types moyens très différents les uns des autres, les variations saisonnières et même mensuelles des suicides ont lieu partout suivant la même loi. De même, quelle que soit la diversité des humeurs indivi- duelles, le rapport entre Taptitude des gens mariés pour le suicide et celle des veufs et des veuves est identiquement le même dans les groupes sociaux les plus différents, par cela seul que l’état moral du veuvage soutient partout avec la constitution morale qui est propre au mariage la même relation. Les causes qui fixent ainsi le contingent des morts volontaires pour une société ou une partie de société déterminée doivent donc être indépendantes des individus, puisqu’elles gardent la même in- tensité quels que soient les sujets particuliers sur lesquels s’exerce leur action. On dira que c’est le genre de vie qui, tou- jours le même, produit toujours les mêmes effets. Sans doute, mais un genre de vie, c’est quelque chose et dont la constance a besoin d’être expliquée. S’il se maintient invariable alors que des changements se produisent sans cesse dans les rangs de ceux qui le pratiquent, il est impossible qu’il tienne d’eux toute sa réalité. On a cru pouvoir échapper à cette conséquence en faisant remarquer que cette continuité elle-même était l’œuvre des in- dividus et que, par conséquent, pour en rendre compte, il n’é- tait pas nécessaire de prêter aux phénomènes sociaux une sorte de transcendance par rapport à la vie individuelle. En effet, a-t-on dit, « une chose sociale quelconque, un mot d’une lan- gue, un rite d’une religion, un secret de métier, un procédé d’art, un article de loi, une maxime de morale se transmet et passe d’un individu parent, maître, ami, voisin, camarade, à un autre individu W ». (1) Tarde, La hociologie élémentaire, in Annaletf de l’Institut international de sociologie, p. 213.