Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/375

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> l’élément social du suicide. 333 qui ne se seraient pas produits si les consciences particulières ne s’étaient pas unies, qui résultent de cette union et se sont surajoutés à ceux qui dérivent des natures individuelles. On aura beau analyser ces dernières aussi minutieusement que possible, jamais on n’y découvrira rien qui explique comment se sont fon- dées et développées ces croyances et ces pratiques singulières d’où est né le totémisme, comment le naturisme en est sorti, comment le naturisme lui-même est devenu, ici la religion abs- traite de lahvé, là le polythéisme des Grecs et des Romains, etc. Or, tout ce que nous voulons dire quand nous affirmons r hétérogénéité du social et de Tindividuel, c’est que les obser- vations précédentes s’appliquent, non seulement à la religion, mais au droit, à la morale, aux modes, aux institutions politiques, aux pratiques pédagogiques, etc., en un mot à toutes les formes de la vie collective (*). Mais une autre objection nous a été faite qui peut paraître plus grave au premier abord. Nous n’avons pas seulement admis que les états sociaux diffèrent qualitativement des états individuels, mais encore qu’ils sont, en un certain sens, exté- rieurs aux individus. Même nous n’avons pas craint de compa- rer cette extériorité à celle des forces physiques. Mais, a-t-on dit, puisqu’il n’y a rien dans la société que des individus, com- ment pourrait-il y avoir quelque chose en dehors d’eux ? Si l’objection était fondée, nous serions en présence d’une antinomie. Car il ne faut pas perdre de vue ce qui a été précé- demment établi. Puisque la poignée de gens qui se tuent chaque année ne forme pas un groupe naturel, qu’ils ne sont pas en communication les uns avec les autres, le nombre con- (1) Ajoutons, pour prévenir toute interprétation inexacte, que nous n’ad- mettons pas pour cela qu’il y ait un point précis où finisse l’individuel et où commence le règne social. L’association ne s’établit pas d’un seul coup et ne produit pas d’un seul coup ses effets ; il lui faut du temps pour cela et il y a, par conséquent, des moments où la réalité est indécise. Ainsi, on passe sans hiatus d’un ordre de faits à l’autre.; mais ce n’est pas une raison pour ne pas les distinguer. Autrement, il n’y aurait rien de distinct dans le monde, si du moins on pense qu’il n’y a pas de genres séparés et que l’évolution est con- tinue. DUBKHEIM. 23