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Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/381

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habilement le service militaire, d’exécuter loyalement nos contrats, etc., etc. Si, sur tous ces points, la moralité n’était assurée que par les sentiments vacillants que contiennent les consciences moyennes, elle serait singulièrement précaire.

C’est donc une erreur fondamentale que de confondre, comme on l’a fait tant de fois, le type collectif d’une société avec le type moyen des individus qui îa composent. L’homme moyen est d’une très médiocre moralité. Seules, les maximes les plus essentielles de l’éthique sont gravées en lui avec quelque force, et encore sont-elles loin d’y avoir la précision et l’autorité qu’elles ont dans le type collectif, c’est-à-dire dans l’ensemble de la société. Cette confusion, que Quételet a précisément commise, fait de la genèse de la morale un problème incompréhensible. Car, puisque l’individu est en général d’une telle médiocrité, comment une morale a-l-elle pu se constituer qui le dépasse à ce point, si elle n’exprime que la moyenne des tempéraments individuels ? Le plus ne saurait, sans miracle, naître du moins. Si la conscience commune n’est autre chose que la conscience la plus générale, elle ne peut s’élever au-dessus du niveau vulgaire. Mais alors, d’où viennent ces préceptes élevés et nettement impératifs que la société s’efforce d’inculquer à ses enfants et dont elle impose le respect à ses membres? Ce n’est pas sans raison que les religions et, à leur suite, tant de philosophies considèrent la morale comme ne pouvant avoir toute sa réalité qu’un Dieu. C’est que la pale et très incomplète esquisse qu’en contiennent les consciences individuelles n’en peut être regardée comme le type original. Elle fait plutôt l’effet d’une reproduction infidèle et grossière dont le modèle, par suite, doit exister quelque part en dehors des individus. C’est pourquoi, avec son simplisme ordinaire, l’imagination populaire le réalise en Dieu. La science, sans doute, ne saurait s’arrêter à cette conception dont elle n’a même pas à connaître [1]. Seulement, si on l’écarté,

  1. De même que la science de la physique n’a pas à discuter la croyance en Dieu, créateur du monde physique, la science de la morale n’a pas à connaître de la doctrine qui voit en Dieu le créateur de la morale. La question n’est pas de notre ressort ; nous n’avons à nous prononcer pour aucune solution. Les causes secondes sont les seules dont nous ayons à nous occuper.