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Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/382

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360 LE SUICIDE. il ne reste plus d’autre alternative que de laisser la morale en i’air et inexpliquée, ou d’en faire un système d’états collectifs. Ou elle ne vient de rien qui soit donné dans le monde de Tex- périence, ou elle vient de la société. Elle ne peut exister que dans une conscience; si ce n’est pas dans celle de l’individu, c’est donc dans celle du groupe. Mais alors il faut admettre que la seconde, loin de se confondre avec la conscience moyenne, la déborde de toutes parts. L’observation confirme donc l’hypothèse. D’un cùté, la régu- larité des données statistiques implique qu’il existe des ten- dances collectives, extérieures aux individus: de l’autre, dans un nombre considérable de cas importants, nous pouvons di- rectement constater cette extériorité. Elle n’a. d’ailleurs, rien de surprenant pour quiconque a reconnu l’hétérogénéité des états individuels et des états sociaux. En effet, par définition, les se- conds ne peuvent venir à chacun de nous que du dehors, puis- qu’ils ne découlent pas de nos prédispositions personnelles; étant faits d’éléments qui nous sont étrangers ^ ils expriment autre chose que nous-mêmes. Sans doute, dans la mesure où nous ne faisons qu’un avec le groupe et où nous vivons de sa vie, nous sommes ouverts à leur influence: mais inversement, en tant que nous avons une personnalité distincte de ia sienne, nous leur sommes réfractaires et nous cherchons à leur échap- per. Et comme il n’est personne qui ne mène concurremment celte double existence, chacun de nous est animé à la fois d’un double mouvement. Nous sommes entraînés dans le sens social et nous tendons à suivre la pente de notre nature. Le reste de la société pèse donc sur nous pour contenir nos tendances cen- trifuges, et nous concourons j^our notre part à peser sur autrui afin de neutraliser les siennes. Nous subissons nous-mêmes la pression que nous contrilnions à exercer sur les autres. Deux forces antagonistes sont en présence. L’une vient de la collecti- vilo et cherche à s’emparer de l’indiviihi; l’autre vient de Tin- ilividu et repousse la précédente. La première est, il est vrai, bien supérieure à la seconde, puisqu’elle est due à une combl- ai) y. i^us haut, p. 3;>().