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LE SUICIDE.

écartée sans discussion. Nous allons donc examiner successivement ces deux ordres de facteurs et chercher s’ils ont, en effet, une part dans le phénomène que nous étudions et quelle elle est.


I.


Il est des maladies dont le taux annuel est relativement constant pour une société donnée, en même temps qu’il varie assez sensiblement suivant les peuples. Telle est la folie. Si donc on avait quelque raison de voir dans toute mort volontaire une manifestation vésanique, le problème que nous nous sommes posé serait résolu ; le suicide ne serait qu’une affection individuelle[1]

C’est la thèse soutenue par d’assez nombreux aliénistes. Suivant Esquirol : « Le suicide offre tous les caractères des aliénations mentales[2] ». — « L’homme n’attente à ses jours que lorsqu’il est dans le délire et les suicidés sont aliénés[3] ». Partant de ce principe, il concluait que le suicide, étant involontaire, ne devait pas être puni par la loi. Falret[4] et Moreau de Tours s’expriment dans des termes presque identiques. Il est vrai que ce dernier, dans le passage même où il énonce la doctrine à laquelle il adhère, fait une remarque qui suffit à la rendre suspecte : « Le suicide, dit-il, doit-il être regardé dans tous les cas comme le résultat d’une aliénation mentale ? Sans vouloir ici trancher cette difficile question, disons en thèse générale qu’instinctivement on penche d’autant plus vers l’affirmative que l’on a fait de la folie une étude plus approfondie, que l’on a acquis plus d’expérience et qu’enfin on a vu plus d’aliénés[5] ». En

  1. Dans la mesure où la folie est elle-même purement individuelle. En réalité, elle est, en partie, un phénomène social. Nous reviendrons sur ce point.
  2. Maladies mentales, t. I, p. 639.
  3. Ibid., t. I, p. 665.
  4. Du suicide, etc., p. 137.
  5. In Annales médico-psych, t. VII, p. 287.