Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/401

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Li: SUICIDE ET LES AUTRES PHÉNOMÈNES SOCIAUX. 379 coup; il nous scandalise par cela seul qu’il viole ce caraclère sacro-saint qui est en nous, et que nous devons respecter chez nous comme chez autrui. Le suicide est donc réprouvé parce qu’il déroge à ce culte pour la personne humaine sur lequel repose toute noire morale. Ce qui confirme cette explication, c’est que nous le considérons tout autrement que ne faisaient les nations de l’antiquité. Jadis, on* n’y voyait qu’un simple tort civil commis envers l’État; la religion s’en désintéressait plus ou moins (*). Au contraire, il est devenu un acte essentiellement religieux. Ce sont les conciles qui l’ont condamné, et les pouvoirs laïques, en le punissant^ n’ont fuit que suivre et qu’imiter l’autorité ecclésiastique. C’est parce i que nous avons en nous une âme immortelle, parcelle de la di- j vinité, que nous devons nous être sacrés à nous-mêmes. C’est parce que nous sommes quelque chose de Dieu que nous n’ap- partenons complètement à aucun être temporel. Mais si telle est la raison qui a fait ranger le suicide parmi les actes illicites, ne faut-il pas conclure que cette condamnation est désormais sans fondement? Il semble, en effet, que la critique scientifique ne saurait accorder la moindre valeur à ces concep- tions mystiques ni admettre qu’il y eût dans l’homme quelque chose de surhumain. C’est en raisonnant ainsi que Ferri, dans son Omicidio’Siiicidio, a cru pouvoir présenter toute prohibition du suicide comme une survivance du passé, destinée à dispa- raître. Considérant comme absurde au point de vue rationaliste que rindividu puisse avoir une fin en dehors de lui-même, il en déduit que nous restons toujours libres de renoncer aux avantages de la vie commune en renonçant à l’existence. Le droit de vivre lui paraît impliquer logiquement le droit de mourir. Mais cette argumentation conclut prématurément de la forme au fond, de l’expression verbale par laquelle nous traduisons notre sentiment à ce sentiment lui-même. Sans doute, pris en eux-mêmes et dans l’abstrait, les symboles religieux, par (1)’V. Geiger, op, cit, p. 68*69.