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Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/403

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LE SUICIDE ET LES AUTRES PHENOMENES SOCIAUX. 381 Mais nous Taliénons, comme nous faisons pour nos sensations; nous Ja projetons au dehors, nous Ja rapportons à un êlré que nous concevons comme extérieur et supérieur à nous, puisqu’il nous commande et que nous nous conformons à ses injonctions. Naturellement, tout ce qui nous paraît venir de la même origine participe au même caractère. C’est ainsi que nous avons été nécessités à imaginer un monde au-dessus de celui-ci et à le peupler de réalités d’une autre nature. Telle est Torigine de toutes ces idées de transcendance qui sont à la base des religions et des morales; car l’obligation morale est inexplicable autrement. Assurément, la forme con- crète dont nous revêtons d’ordinaire ces idées est scientifique- ment sans valeur. Que nous leur donnions comme fondement un êlre personnel d’une nature ’spéciale ou quelque force abs- traite que nous hypostasions confusément sous le nom d’idéal moral, ce sont toujours représentations métaphoriques qui n’ex- priment pas adéquatement les faits. Mais le processus qu’elles symbolisent ne laisse pas d’être réel. Il reste vrai que, dans tous ces cas, nous sommes provoqués à agir par une autorité qui nous dépasse, à savoir la société, et que les fins auxquelles elle nous attache ainsi jouissent d’une véritable suprématie morale. S’il en est ainsi, toutes les objections que l’on pourra faire aux conceptions usuelles par lesquelles les hommes ont essayé de se représenter cette suprématie qu’ils sentaient, ne sauraient en diminuer la réalité. Cette critique est superficielle et n’atteint pas le fond des choses. Si donc on peut établir que l’exaltation de la personne humaine est une des fins que pour- suivent et doivent poursuivre les sociétés modernes, toute la réglementation morale qui dérive de ce principe sera par cela même justifiée, quoique puisse valoir la façon dont on la justifie d’ordinaire. Si les raisons dont se contente le vulgaire sont cri- tiquables, il suffira de les transposer en un autre langage pour leur donner toute leur portée. Or, non seulement, en fait, ce but est bien un de ceux que poursuivent les sociétés modernes, mais c’est une loi de l’his- toire que les peuples tendent de plus en plus à se déprendre de